Interfoto 1975-2015

Depuis 1975, le collectif de photographes genevois Interfoto produit des images à caractère social et politique. Ses membres, non rémunérés, travaillent sans hiérarchie et ne signent jamais leurs photos de manière individuelle. A l’origine, l’agence a pour but de couvrir les occupations, grèves et autres mobilisations largement absentes des colonnes de la presse bourgeoise. Du Courrier à Lutte Ouvrière, en passant par solidaritéS, les photos sont destinées aux publications « de gauche », syndicales et associatives. Mais Interfoto s’affirme également comme un auteur à part entière au fil des 9 livres publiés, misant sur la création collective d’images. Elles témoignent, loin de toute complaisance, de la vie quotidienne, des conditions de travail et de logement, des mythes et des idéologies, mais aussi des luttes et des résistances. A l’occasion d’une exposition retraçant les 40 ans d’existence de l’agence au Centre de la photographie à Genève, notre rédaction s’est entretenue avec ses membres.

Vous vous définissez comme une «agence non professionnelle» et, à ses débuts, de «contre-information». Considérez-vous vos photographies comme «engagées»?

 

La photographie n’est qu’une image, c’est l’intention qu’on lui donne qui est politique. Ce qui compte pour nous, c’est où l’on se situe, nous comme photographes, et à qui se destinent nos images. En l’occurrence, elles le sont en large partie à des groupes politiques, des syndicats, des associations. En ce sens, la production et la distribution des images, au sein d’Interfoto, est un acte militant, mais pas les images en soi.

 

 

Quel regard a choisi de porter Interfoto?

 

La production d’images pour d’autres groupes militants a rapidement débouché sur la volonté de construire de manière indépendante notre propre discours sur la société dans laquelle nous vivons. Il y avait aussi l’idée de s’extraire un peu du terrain des luttes pour porter un regard plus large. Nous avons d’abord photographié la lutte des ha­bi­tant·e·s du quartier des Grottes à Genève, le monde du travail ou encore celui des saisonniers. Dans Contes de la ville quotidienne, nous avons cherché à montrer d’autres aspects des conditions de vie en Suisse romande, avant d’en arriver à des livres construits à partir de photos de plus en plus symboliques. Interfoto a toujours été conscient de l’ambiguïté de chaque image, c’est pour cela que nos livres sont créés à partir de séries porteuses de sens.

 

 

Comment Interfoto a-t-il vécu l’expérience du travail collectif?

 

Nous faisions tous beaucoup de photos. Collaborer avec l’agence permettait d’une part de mettre en commun les images que nous avions chacun dans nos tiroirs, et d’autre part d’avoir une structure permettant de les diffuser aux publications « de gauche ». Cela nous a aussi permis de vivre une pratique collective différente des pratiques professionnelles de chacun, qui étaient d’ailleurs fort éloignées du monde de la photo.

Interfoto était l’occasion d’expérimenter une activité au sein d’un groupe sans hiérarchie ni spécialisation, même s’il ne faut pas nier les différences qui existent entre nous, en termes de disponibilités, de compétences, etc. Mais ces aspects ne nous ont pas empêché d’avancer, les différences n’étaient pas source de rivalité, elles étaient au contraire un enrichissement pour le travail collectif. Toutes les photos signées Interfoto sont le résultat d’un choix fait ensemble. Nous n’avons jamais privilégié la « photo d’auteur », mais plutôt le travail de choisir collectivement des images en fonction du sens à leur donner. Autant l’activité du photographe en tant qu’individu s’enrichit dans la collaboration avec les autres membres du groupe, autant la photographie en soi s’enrichit au contact d’autres photographies.

 

 

Au fil de vos 40 années d’existence, vos livres traduisent un regard de plus en plus distant, nuancé, voire cynique sur notre réalité. Dans votre dernier livre Mémoire éphémère, vous écrivez d’ailleurs: «Les images qui suivent devraient servir de miroir décalé dans un monde où le regard sur les rapports sociaux tend à disparaître et notre mémoire à s’effriter.»

 

Les thèmes que nous avons abordés sont évidemment toujours d’actualité, mais nous sommes moins en contact avec le monde militant. Aujourd’hui, le problème pour nous réside surtout dans la difficulté à rendre compte de manière percutante et pertinente de la complexité du monde qui nous entoure.

 

Propos recueillis par Giulia Willig

 

 

Interfoto 1975—2015

A voir jusqu’au 31 mai

au Centre de la photographie – Genève (CPG)

28 rue des Bains

 

Table ronde autour d’Interfoto,

en présence du collectif

Jeudi 23 avril à 18 h 30 au CPG

 

Visites guidées

dans le cadre de la Nuit des musées

Samedi 16 mai à 19 h et 20 h

Dimanche 17 mai à 14 h 30 et 16 h 30