Grèce

Grèce : Rompons avec la peur, avançons!

Il est impossible de contester les politiques d’austérité et, à travers elles, l’hégémonie des marchés financiers. En même temps, il est impossible de ne pas les contester. Parce que la dette touche à tous les aspects de nos vies, des revendications sociales-démocrates classiques apparaissent aujourd’hui comme radicales : le maintien d’un régime de retraites et de droit du travail peut faire voler le système en éclats. Produire, cultiver un sol non contaminé, se nourrir, avoir un toit, se soigner ou étudier deviennent des « revendications radicales ».

Seul discours admis : celui de la servitude volontaire, soit l’instrument d’une classe sociale pour imposer son empire au reste de la population. Il va de soi que l’horizon de ces mesures n’est pas le remboursement de la dette, mais sa perpétuation ad vitam æternam. Avec l’accroissement de l’écart des taux obligataires entre pays de la zone euro se dessine une hiérarchie des nations : la faute ne pèse plus seulement sur des catégories de populations, mais sur des peuples entiers. La question des classes sociales est à nouveau évacuée, même si elle devrait resurgir des conclusions de l’audit de la dette. 

Peut-on sortir de la dictature de l’euro ? Cela ne dépend pas seulement des capacités du gouvernement, mais de l’implication du peuple grec dans un processus de recomposition productive, sociale et politique, aussi inventif et combatif que celui de la période précédente.

En effet, notre résistance à l’austérité ne s’est pas exprimée uniquement dans la rue, mais aussi dans les industries occupées, les terres réquisitionnées, les appartements vides convertis en dispensaires, en cantines ou en crèches, etc. Ces initiatives ont poussé sur les ruines de l’État social, à mi-chemin de l’autogestion, de l’humanitaire, de la micro-entreprise et des luttes sociales et politiques. Elles sont apparues pour répondre à un besoin de survie. 

L’entreprise Vio.me (produits de nettoyage) autogérée par ses employés; les marchés agricoles sans intermédiaires; la culture de terrains militaires occupés; les initiatives théâtrales, éditoriales et médiatiques autogérées; les dispensaires où des médecins soignent bénévolement; les collectifs de parents et d’enseignants gérant crèches et écoles de quartier; les réseaux d’aide aux migrants, de solidarité, de collecte de denrées ou de vêtements; les collectifs contre les coupures de courant; les lutte d’habitants contre des activités polluantes.

Voilà autant de tentatives de produire sans Etat, sans budgets, sans subventions, mais aussi de distribuer sans intermédiaires privés, qui font partie de notre paysage quotidien et montrent ce que pourrait être la Grèce d’après la crise, d’après la rupture, d’après l’euro. Encore faut-il les mettre en réseau, les coordonner et les inscrire dans la durée en transformant des « zones d’autonomie temporaires » en combats sociaux, en associations de producteurs, en zones à défendre et en projets politiques. 

Ne cédons pas à la sidération issue de la confrontation entre gouvernement grec et instances européennes; ne nous en remettons à personne, car aucune délégation ne peut répondre aux questions qui se posent à nous; continuons à critiquer, produire, lutter en ne laissant pas la politique seule avec elle-même; tissons des alliances avec d’autres pays et peuples; assumons la singularité qui est la nôtre sans verser dans le nationalisme, qui pointe son nez au gouvernement; n’attendons pas un sauveur providentiel. Rompons avec la peur en reconnaissant que c’est notre désir de vie, et non le chantage de l’administration bruxelloise qui nous a conduits aujourd’hui aux portes de l’inconnu, et avançons ! 

 

Dimitris Alexakis

Paru le 6 avril 2015 sur oulavie­sauvage.wordpress.com, condensé et adapté par notre rédaction