Allemagne

Allemagne : Salaire minimum? Mon oeil?

La nouvelle loi sur le salaire minimum en Allemagne est en vigueur depuis le 1er janvier 2015. Au sein de l’UE, 21 Etats sur 28 connaissent une disposition équivalente, le plus bas en Bulgarie avec 1,01 euro/heure, le plus haut au Luxemburg avec 11,10 euros/heure. L’Allemagne, avec 8,50 euros/heure, semble se situer plutôt en haut de la gamme. Mais il est insuffisant et n’est pas appliqué systématiquement : il existe des règlements de transition pour certaines branches, et l’expérience des premières semaines montre comment les patrons contournent le nouveau dispositif, de même qu’ils ont très souvent contourné les salaires minimaux par branches en vigueur depuis des années.

Un quart de working poors

 

En travaillant à temps plein, un·e salarié·e payé 8,50 euros par heure touche un peu moins de 1500 euros brut par mois. Trop pour mourir et trop peu pour vivre, il s’agit surtout d’un salaire net très peu au-dessus des minimas sociaux, insuffisant pour générer une pension protégeant de la pauvreté, une fois la retraite arrivée. Le directeur principal du Paritätischer Wohlfahrtsverband (centrale des associations d’assistance sociale) Ulrich Schneider a déclaré qu’il faudrait un salaire minimum au-dessus de 13 euros de l’heure pour protéger contre la pauvreté de vieillesse. Et encore, même 13 euros seraient insuffisants sans emploi à temps plein pendant des décennies.

Même après l’introduction de cette loi en Allemagne, 25 % des sa-la-rié·e·s vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Ce pays se situe ainsi au deuxième rang des bas salaires, après la Lituanie, au sein de l’UE. Mais malgré cela, aucune adaptation au pouvoir d’achat des sa-la-rié·e·s n’est prévue. Au contraire, le gouvernement de coalition CDU/CSU/SPD, poussé par les centrales patronales, a décidé d’une « évaluation » de la mise en pratique de la loi, prévue pour le 30 juin 2015, avec comme idée principale d’examiner si cette loi ne nuit pas trop à la compétitivité internationale des firmes allemandes et à l’économie allemande en général.

Exceptions, règlements transitoires et tours de passe-passe

 

Le salaire minimum de 8,50 euros par heure ne s’applique ni aux personnes en-dessous de 18 ans sans formation professionnelle, ni aux ap-pren-ti·e·s, ni dans les six premiers mois d’un emploi interrompant le chômage, ni à la plupart des stagiaires. Il ne s’applique pas non plus pour les han-di-capé·e·s travaillant dans des ateliers spéciaux, aux dé-te-nu·e·s de droit commun et de facto pour beaucoup de celles et ceux em-ployé·e·s en sous-traitance. Pour les sa-larié·e·s embauché·e·s « pour la saison », surtout dans l’agriculture et dans la gastronomie, même si le salaire minimum s’applique, il y a « libération » du payement des prestations sociales pour 70 jours (avant, c’étaient « seulement » 50 jours). Et pour toute une série de branches, il y a des règlements transitoires permettant aux patrons de payer des salaires en-dessous de 8,50 euros par heure jusqu’à la fin de l’année 2016.

De plus, les règles officielles ne sont souvent pas appliquées. Le DGB, la centrale des syndicats, a installé une ligne téléphonique spéciale (« hotline salaire minimum ») jusqu’à fin mars 2015, et reçoit chaque jour des centaines d’appels téléphoniques de sa-la-rié·e·s qui se plaignent du fait qu’on leur paye moins que le salaire minimum. Beaucoup de patrons prétendent par exemple que le salaire minimum de 8,50 euros ne compte pas pour les « mini-jobs » jusqu’à 450 euros par mois. Or, ce n’est pas vrai.

Autre entourloupe, certaines entreprises ne payent plus par heure, mais par « rendement ». Notamment dans l’hôtellerie, où les sa-la-rié·e·s du nettoyage dans les hôtels ne sont souvent plus payé·e·s par heure, mais par chambre nettoyée. Ceci n’est légal que si, de cette manière, les sa-la-rié·e·s touchent aux moins le salaire minimum par heure. Mais qui va contrôler ? D’autres patrons contournent encore le salaire minimum en réduisant artificiellement le temps de travail à 20 ou 30 heures par semaine. Mais qui empêchera les patrons de les faire travailler pendant 40 ou 50 heures par semaine de facto ? C’est la douane qui est officiellement chargée de contrôler l’application du salaire minimum. Or, cette administration ne dispose pas d’assez de ressources financières et humaines pour le faire, et dans certaines branches, comme dans l’hôtellerie et dans le bâtiment, le contrôle est presque inexistant. 

 

 

Les déshérités du capitalisme contemporain

 

Dans un nouveau livre d’investigation édité par Günter Wallraf, 14 auteurs montrent la réalité quotidienne de celles et ceux « d’en bas », qui travaillent dans des conditions déplorables tout en gagnant très peu d’argent, qu’on appelle working poors. Ces reportages parlent de tra–vail-leurs·euses de tous les secteurs les plus précaires, décrivant des réalités qui font penser aux débuts du mode de production capitaliste : des journées de travail jusqu’à 15 heures pour 1000 euros par mois, des licenciements qui sanctionnent une journée d’absence pour maladie, des tentatives de résistance ou de protestation immédiatement écrasées à coup de licenciements, etc.

La nouvelle loi sur le salaire minimum ne va pas changer vraiment les choses. Dans le livre de Wallraff, toute une série de lacunes sont décrites qui permettent le maintien d’un secteur large de bas salaires, même bien plus bas que le salaire minimum officiel de 8,50 euros par heure. En somme, et contrairement à certaines croyances, les raisons de refuser de payer les frais de la crise économique sont toutes aussi valables pour le salariat allemand que dans le reste de l’Europe. 

 

Manuel Kellner

Intertitres et adaptation
de notre rédaction.

Tribune écrite pour Viento Sur (vientosur.info)

Version française :

europe-solidaire.org