La Finance européenne veut annuler le vote du peuple grec

La Finance européenne veut annuler le vote du peuple grec : Ne la laissons pas faire!

La priorité est aujourd’hui à la solidarité avec le peuple grec contre l’ajustement structurel que lui impose la Troïka depuis six ans. Il ne s’agit donc pas de donner des conseils à SYRIZA, mais de réfléchir à voix haute, avec les forces de gauche qui, notamment au sein de ce parti, ont critiqué l’accord passé le 23 février avec les ministres des Finances de la zone euro. Si l’auteur ne nie pas les améliorations obtenues pour faire face à la « crise humanitaire », il estime qu’elles ne sont pas de nature à rompre avec le programme d’austérité contre lequel les classes populaires ont voté le 25 janvier. Un tel changement de cap nécessite en réalité une confrontation politique et sociale de grande envergure avec le FMI, la BCE et la Commission européenne. [Réd.]

L’accord imposé à la Grèce par l’Eurogroupe (ministres des finances des pays de la zone euro), le 23 février dernier, respecte les mémorandums ratifiés par les parlements précédents. Il reporte sine die la réalisation des promesses électorales les plus importantes de SYRIZA : retour sur les privatisations, réembauche du personnel public licencié, rétablissement du salaire minimum de 2009 (751 €), restauration des conventions collectives de branche, suppression des impôts socialement injustes, etc. Au lieu de cela, il prévoit d’alléger les politiques d’austérité sans mettre en cause les grandes lignes de l’ajustement imposé. A en croire le commentaire à chaud du responsable de la rubrique économique de BBC News, SYRIZA aurait «laissé tomber Marx pour Blair» (24 février).

 

 

Une « ambiguïté constructive » ?

 

Qu’en est-il exactement ? Parmi d’autres, deux décisions laissaient percevoir que la direction de SYRIZA visait un « compromis » acceptable pour l’Eurogroupe : l’entrée au gouvernement d’un parti souverainiste de droite, les ANEL (Grecs indépendants), investi du ministère de la Guerre; la nomination d’un président de la République issu de la Nouvelle démocratie. Ainsi, l’accord du 23 février contient des mesures sociales ciblées, dont le financement devrait être couvert par la lutte contre l’évasion fiscale, mais au prix (suite p.10)

du maintien des engagements structurels qui minent les droits du monde du travail. Tsipras et Varoufakis entendent-ils gagner du temps ? Mais alors pour quoi faire ?

Pour le moment, le gouvernement réaffirme sa volonté d’«accroître l’efficience du secteur public», de «renforcer la compétitivité de l’économie», de «réformer le marché du travail», de «rationaliser le système des retraites», de ne pas «revenir sur les privatisations»… La «crise humanitaire» est traitée dans un addendum qui prévoit des mesures d’urgence, comme la distribution de bons alimentaires, le rétablissement de l’électricité à 300 000 ménages, l’échelonnement des dettes envers l’Etat, la non incarcération des débiteurs insolvables de moins de 50 000 €, la non évacuation des logements valant moins de 300 000 €, la réouverture de la radiotélévision publique (ERT), mais sans réengagement garanti des tra­vail­leurs·euses en lutte depuis 21 mois, etc. Ce n’est certes pas rien, même si le programme d’ajustement n’est pas remis en cause. 

 

 

Un débat urgent à gauche

 

Le gouvernement risque d’y perdre à terme une partie de sa popularité, même si les sondages récents la montrent en forte progression. Comme le dit le commentateur de BBC News : «En apaisant l’establishment économique européen (…), M. Varoufakis risque de s’aliéner ses amis (…) et [d’] acheter la stabilité économique et financière au prix de l’instabilité politique» (24 février). En effet, le FMI et la BCE ont obtenu des autorités grecques qu’elles renoncent à toute décision non concertée avec eux, et qu’elles démontrent que les aménagements sociaux décidés ne réduisent pas l’excédent primaire des comptes de l’Etat. «Les Grecs vont avoir beaucoup de peine à expliquer ce deal à leurs électeurs», relevait cyniquement le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, avant sa ratification par le Bundestag quelques jours plus tard. 

Un mois après la victoire électorale du 25 janvier, l’Association des industriels grecs plébiscite l’accord du 23 février, tandis que 41 % du comité central de SYRIZA, sur proposition de sa Plateforme de gauche, appelle à le rejeter avec la liste des « réformes » adoptée par Athènes, et réclame un fonctionnement plus démocratique du parti. Un débat fait rage à gauche et au sein du mouvement social, dont l’issue est décisive, autant pour la population grecque que pour la construction d’une alternative aux politiques d’austérité à l’échelle continentale.

 

 

Priorité à la mobilisation

 

Bien entendu, l’Eurogroupe peut bouter la Grèce hors de la zone euro, plutôt que de la voir renoncer au programme d’austérité imposé. C’est pourquoi SYRIZA devrait préparer son propre scénario de sortie, ne serait-ce que pour disposer d’une réelle marge de manœuvre face à Bruxelles, qui va probablement se contenter de proposer le rééchelonnement de la dette contre la poursuite de l’ajustement structurel. La « souplesse » montrée aujourd’hui par Yanis Varoufakis a permis peut-être de gagner un peu de temps, mais ne va-t-elle pas aussi encourager l’Eurogroupe, la BCE et le FMI à durcir encore le ton ?

La mobilisation populaire est aujourd’hui la clé du rapport de forces avec les capitalistes grecs et européens, de même qu’avec leurs institutions. Les leaders de l’UE, y compris Hollande et Renzi, cherchent en effet à mettre le peuple grec à genou pour éviter aussi que sa volonté de résistance n’en inspire d’autres, à commencer par les Espagnol·e·s. C’est pourquoi il importe de soutenir le programme plébiscité par le peuple grec, par ses luttes et pas son vote du 25 janvier, en organisant par exemple des journées de solidarité en Suisse et en Europe, mais aussi en mobilisant à l’échelle européenne des secteurs particulièrement touchés par l’austérité (santé, éducation, etc.). Nous devons en particulier exiger la levée immédiate du secret bancaire sur les avoirs grecs (plus de 2000 comptes auprès de HSBC à Genève) et la transmission automatique d’informations au fisc de ce pays, comme l’a récemment demandé le syndicat UNIA au Conseil fédéral.

 

Jean Batou