Saisie du temps de travail

Saisie du temps de travail : La flexibilité progresse quand même

Malgré son aspect technique et administratif, la saisie, ou enregistrement, du temps de travail représente un véritable enjeu politique et social. En Suisse, le patronat mène la danse depuis plusieurs années sur ce point. Un récent accord des partenaires sociaux, chapeauté par J. Schneider-Ammann, aurait mis un frein aux appétits patronaux. C’est encore à voir.

L’allègement des possibilités de contrôle du temps de travail réellement effectué par les sa­la­rié·e·s est une des revendications patronales permettant d’aller vers une plus grande flexibilisation des conditions de travail. Non seulement l’horaire de travail se module de plus en plus en fonction de la production, mais le temps de travail gratuitement offert à l’entreprise augmente.

C’est évidemment le cas lorsque, par exemple, le temps de pause n’est plus contrôlé. La pause va se réduire, être prise pendant que le travail se poursuit, voire carrément sautée. Tout cela, comme les heures supplémentaires non déclarées, représente du travail que le patron s’approprie sans le payer.

Sous prétexte de lutter contre une bureaucratie envahissante et inadaptée, le patronat helvétique a commencé par ne pas appliquer la législation (en l’occurrence l’Ordonnance 1 relative à la Loi sur le travail). Ainsi, une étude récente a montré qu’en 2010, près de 17 % des sa­la­riés·e·s en Suisse travaillaient avec des horaires flexibles sans saisie du temps du travail. La proportion est certes plus élevée chez les cadres supérieurs (26,2 %) que chez les em­ployé·e·s subalternes (11,3 %), mais cette dernière proportion représente grosso modo 400 000 personnes. Surtout, comme le note ce Rapport sur « Les horaires de travail flexibles en Suisse » : «contrairement aux travailleurs avec horaires fixes, les travailleurs avec horaires flexibles font généralement beaucoup plus d’heures que ce qui est contractuellement prévu.»

 

 

Un premier galop d’essai

 

Cherchant à pousser l’avantage, le patronat a demandé à l’optimisateur fiscal Schneider-Amman de lancer le Seco dans une révision de l’Ordonnance 1. Un premier projet présenté en 2012 et précédé d’un projet-pilote dans les banques ne trouva pas de majorité. Les représentants du patronat au Parlement remirent le couvert. Deux motions similaires, présentées à la fois au Conseil des Etats et au Conseil national, respectivement par le démocrate-­chrétien Paul Niederberger (NW) et l’udéciste Thomas Aeschi (ZG), exigeaient que des branches entières de l’économie puissent renoncer à l’enregistrement du temps de travail.

Mise ainsi sous pression, l’Union syndicale suisse (USS) a négocié, sous l’égide du Seco, un accord avec l’Union patronale suisse. Ce texte libère les personnes touchant plus de 120 000 francs de salaire annuel (bonus inclus), et bénéficiant d’une grande autonomie dans l’accomplissement de leurs tâches, de l’obligation de saisir leur temps de travail. Cette renonciation devra toutefois être réglementée dans une convention entre les partenaires sociaux. Sur la base de cet accord, soutenu aussi par l’USAM (les petits patrons) et Travail.Suisse (malgré le fait que cette organisation syndicale fut tenue à l’écart des négociations), le Seco entend mettre en consultation accélérée une nouvelle version de l’OLT 1.

L’USS se félicite d’avoir ainsi coupé l’herbe sous les pieds des deux motions, alors en cours de discussion aux Chambres fédérales. Le pire a été évité, selon l’organisation faîtière. Un partout, la balle au centre, alors ? Rien n’est moins sûr : l’offensive patronale est loin d’être terminée et la défense ouvrière recule dangereusement, laissant de plus en plus de terrain à l’adversaire. Sans parler de l’impartialité de l’arbitre Schneider-Ammann. 

 

Daniel Süri