Automne de grèves

Automne de grèves : Le patronal sort see fourches

L'automne 2014 aura été marqué par une série de grèves en suisse romande. Ces mouvements ont fait l’objet de réactions extrêmement agressives de la part d'un patronat aux aguets qui craint que les travailleurs·euses se réapproprient ce moyen de lutte incontournable pour faire valoir leurs revendications

 

Le 11 novembre dernier, les employé·e·s de Pavatex entamaient ainsi à Fribourg une grève de trois jours suite à l’annonce de la fermeture de leur usine. Le 18 novembre, à Genève cette fois, les tra­vail­leurs·euses des Transports Publics Genevois bloquaient pendant une journée complète toute circulation de bus et de tram pour protester contre le nouveau contrat de prestation rédigé par le Conseil d’Etat. L’ensemble du service public est, à l’heure où nous bouclons ce journal, également à l’heure de la mobilisation. A Neuchâtel enfin, un débrayage s’est tenu le 2 décembre dernier contre le projet de budget 2015. Il faisait suite à une manifestation de soutien aux services publics ayant rassemblés plus de 2000 personnes le 25 novembre.

 

 

La grève selon le patronat : un instrument

antidémocratique qui viendrait d’ailleurs

 

Concentrées sur la grève exemplaire menée par les em­ployé·e·s des transports publics genevois, les réactions patronales ne se sont pas fait attendre. Le jour-même, l’Union des Associations Patronales Genevoises déclarait ainsi que cette grève était illicite, dans la mesure où elle visait à faire pression sur les autorités, et contrevenait donc à l’interdiction de mener des grèves dites politiques. Dans les débats parlementaires, le camp bourgeois réadaptait la notion de « guerre préventive » pour inventer le concept de « grève préventive », dénonçant la tenue d’un arrêt de travail alors que le contrat de prestation incluant une baisse de recettes pour les TPG n’avait pas encore été entériné. Sur la RTS, l’ancien PDG de Migros Claude Hauser allait jusqu’à déclarer que les syndicats n’avaient pas de raison d’être dans des régies publiques, les décisions étant prises au niveau du parlement, un organe démocratique n’ayant pas d’ordre à recevoir d’une assemblée syndicale. A l’UDC et au MCG, la dénonciation se portait enfin sur des syndicats « Cégétéiste », contrevenant à la tradition du partenariat social, rappelant la vieille propagande, xénophobe ou anticommuniste, de l’ennemi extérieur.

 

 

Dans le public on légifère, dans le privé on licencie

 

Dans ces discours, le patronat et ses lobbies politiques n’ont eu de cesse de présenter la grève dans le service public comme un cas particulier, les em­ployé·e·s de ces services rendant directement des comptes à la population. Ceci justifierait ainsi une entorse aux principes constitutionnels supérieurs, et notamment l’introduction d’un service minimum obligatoire sous faute de sanctions pour les contrevenants, qui fait actuellement l’objet d’un projet de loi du Parti libéral-radical déposé au Grand Conseil genevois.

Pourtant, en 1995 déjà, lors des travaux relatifs à la réforme de la Constitution, les partis bourgeois avaient farouchement combattu  l’introduction formelle d’un droit à la grève. Avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution votée en 1999, le Tribunal fédéral rendait finalement un arrêt ajoutant deux nouvelles conditions à la licéité d’une grève, la subordonnant au fait d’être appuyée par une organisation ayant la capacité de négocier une Convention collective de travail (CCT) ainsi que de devoir poursuivre des buts susceptibles d’être réglementés dans une CCT, réaffirmant ainsi les principes restrictifs définissant antérieurement le droit à la grève.

Dans les faits, la négation du droit de grève est d’ailleurs loin de ne concerner que le seul service public. Quand, dans le public, on légifère pour introduire un service minimum obligatoire, dans le privé on licencie avec effet immédiat les grévistes. Au printemps 2013, 22 grévistes de l’hôpital de la Providence à Neuchâtel étaient en effet licenciés séance tenante. Au mois de juin 2013, 10 grévistes du magasin SPAR à Baden-Dättwil connaissaient le même sort, rejoints à l’automne par 6 grévistes de la société de catering Gate Gourmet à Genève.

 

 

Vers un durcissement des fronts

 

Usagers et usagères du service public ne doivent pas s’y tromper. Si les attaques patronales se sont aussi largement concentrées sur les em­ployé·e·s du service public, dans une période marquée par un regain de conflictualité, c’est bien parce que ce dernier représente une référence, un bastion à abattre avant de s’attaquer au droit de grève dans le privé. L’introduction d’un service minimum va en ce sens, permettant tant de minimiser l’impact de la grève sur l’employeur, qu’en réduisant la visibilité du nombre des travailleurs et travailleuses prêts à se mobiliser. A ce titre, la profusion de déclarations présentant les syndicats comme responsables de la rupture du dialogue social, alors que l’Exécutif refusait depuis des mois de se mettre à la table des négociations, est représentative d’un courant qui refuse toute contestation venue d’en bas.

Comme le Tribunal fédéral du travail allemand le soulignait, sans le droit de grève, la liberté de coalition ne serait «rien d’autre qu’une mendicité collective». C’est à cet état de mendicité que voudrait aujourd’hui nous ramener un patronat aux aguets, dont la violence des propos ne tend qu’à attester l’efficacité de la grève comme instrument, tant symbolique que pratique, de renversement du rapport de force. 

 

Audrey Schmid