Burkina Faso

Burkina Faso : Vent de révolte au «pays des hommes intègres»

Le soulèvement populaire des Burkinabé·e·s est parvenu à faire tomber Blaise Compaoré, homme de main de la France et instigateur des politiques néolibérales du FMI, au pouvoir depuis 27 ans, et responsable du meurtre de Thomas Sankara. Alors que les mobilisations se poursuivent contre la prise de pouvoir par l’armée, notre rédaction s’est entretenue avec Lila Chouli, chercheuse indépendante et auteure d’un récent ouvrage sur le mouvement social burkinabé (Burkina Faso 2011, Chronique d’un mouvement social, aux éditions Tahin Party. Voir solidaritéS nº 213).

On a l’impression que les mobilisations ont fait tomber Blaise Compaoré en quelques jours à peine. Pourtant, cela fait des mois que le président déchu recevait des avertissements de la rue et de l’opposition. Comment s’est construite cette mobilisation sur le long terme?

 

 

Dans toute son histoire post-­coloniale, le Burkina Faso s’est caractérisé par une solide tradition de lutte. Pour ne parler que du régime de Blaise Compaoré, on peut dire qu’il y a eu un avant et un après 1998 avec la crise sociopolitique consécutive à la mort de Norbert Zongo. Cette lutte qui s’est étendue sur plusieurs années et à divers endroits du territoire a marqué l’essor des mobilisations populaires que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. Si les diverses organisations syndicales et associatives n’ont pas impulsé les différents mouvements de contestations populaires depuis, elles les ont accompagnés, mis en discours et élargi les différentes revendications. Les forces sociales que sont le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples, la Coalition contre la vie chère, l’organisation démocratique de la jeunesse, etc., se sont structurées par paliers, avec un ancrage populaire indéniable dans les villes comme dans les campagnes. L’objectif était de réunir différentes composantes sociales et de créer une jonction entre les revendications politiques et sociales. Avec l’approche de 2015, de nouvelles organisations politiques et associatives sont nées, dont le Balai citoyen (en juillet 2013). En juin 2013, l’opposition politique fait son irruption dans la rue. Mais la dynamique actuelle trouve ses racines dans les mobilisations qui ont eu lieu bien antérieurement.

 

 

La confusion semble régner au sein de l’armée, après que celle-ci a pris le pouvoir à la suite de la démission de l’ancien chef d’état. La transition promise par les militaires s’annonce pour le moins tendue…

 

L’omniprésence de l’armée depuis les indépendances est un aspect important de la vie politique du pays. D’apparence civile, le régime de Compaoré demeurait militaire. Il tenait son armée en octroyant des privilèges à sa hiérarchie, gestionnaire assez autonome de ses troupes et plongée dans l’affairisme. En 2011, quand toutes les garnisons se sont mutinées tour à tour pour des revendications sociales, les soldats ont accusé la hiérarchie de détournement et de corruption. En même temps, Compaoré se protégeait de l’armée en privilégiant davantage le régiment de sécurité présidentiel, qui s’est néanmoins aussi rebellé en 2011. Ainsi, au moment des sanctions, aucun élément de la garde présidentielle n’a été radié. Compaoré qui s’était nommé ministre de la Défense a exigé le paiement régulier des salaires des soldats et augmenté les indemnités de sa garde. Conscient de la situation grave dans laquelle il serait s’il modifiait la Constitution, Compaoré a multiplié les nominations, les promotions, l’octroi des avantages à certains hauts gradés dont le chef d’état-­major. Un jour après avoir adopté le fameux projet de loi à déposer une semaine plus tard (le 28 octobre) à l’Assemblée nationale, le Conseil des ministres adoptait des textes sur «les conditions d’avancement des personnels d’active», «le statut général des personnels des forces armées nationales». Mais, cela n’a pas suffi. 

Sur la situation actuelle, à ce stade et sans présager de ce qu’il va se passer, ce que l’on peut dire c’est qu’il est très déroutant de voir le rôle que s’attribue l’armée : qu’elle accompagne la transition est une chose, mais qu’elle veuille la diriger en est une autre. Pire, il s’agit de la garde présidentielle, la garde prétorienne de Blaise Compaoré, souvent décrite comme une armée dans l’armée, au démantèlement longtemps souhaité. Le lieutenant colonel Zida est le commandant en second de cette unité et il serait un proche de Gilbert Diendiéré, le chef d’état-major particulier de l’ex-président. Salutairement, la grande partie de la société civile et de l’opposition politique n’y adhère pas, à nouveau grâce à la pression de la rue qui a rejeté sans appel une transition militaire. Cependant rien n’est joué… Il est difficile de savoir ce qu’il va se passer mais l’armée tentera sans doute de garder la main, peut-être de manière plus discrète.

 

 

Blaise Compaoré était l’un des piliers de la diplomatie internationale pour le maintien de la stabilité en Afrique de l’ouest. Que faut-il attendre des puissances occidentales et en particulier de la France?

 

En ce qui concerne la France, il est étonnant qu’elle n’ait pas compris plus tôt que Blaise Compaoré était devenu pour elle plus un caillou dans la chaussure qu’un pilier pour ses desseins françafricains, d’autant plus que les principaux dirigeants de l’opposition ne sont réputés opposés ni à la puissance française, ni à celle états-unienne. Pour la France et les États-Unis une nouvelle direction de l’État burkinabé, avec une légitimité « démocratique » incontestée – dépourvue d’hostilité à l’égard du capitalisme  – fera mieux l’affaire, pour leurs politiques dans la sous-région. Par ailleurs, le dispositif Barkhane (l’opération antiterroriste française dans le Sahel, nldr) paraît amoindrir la situation du Burkina Faso comme base arrière principale de la « lutte contre le terrorisme » étant donné que c’est une force régionale (Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Tchad). Cependant, on sait que le général Traoré, le 30 octobre dernier, discutait avec l’opposition politique et l’ambassade de France et que le 31, le lieutenant-colonel Zida rassurait sur les engagements pris.