Les "stress tests" bancaires européens

Les "stress tests" bancaires européens : Une nouvelle étape dans la centralisation politique européenne

Dimanche 26 octobre, la Banque Centrale Européenne a rendu publics les résultats des exercices comptables appelés stress tests (« tests de résilience à l’adversité ») et asset quality review (« recension de la qualité des actifs »). Ces exercices permettraient de vérifier la robustesse des bilans des banques européennes en vue de prévenir des faillites bancaires en cas de crise économique, ce qui est censé renforcer la confiance des investisseurs en la bonne santé du système bancaire. Le tout afin de relancer le crédit aux PME, et donc l’activité, et contribuer ainsi à la reprise de l’économie européenne. Les tests ont été effectués en vue du transfert à la BCE, le mardi 4 novembre, de la compétence de superviseur du système bancaire de la zone euro, première étape de la mise en place concrète de l’union bancaire européenne.

 
 

 

En résumé, les tests ont montré que parmi les 130 plus grandes banques européennes, 25 ont besoin de capitaux supplémentaires. Les pays les plus concernés sont l’Italie, la Grèce et Chypre. Neuf banques italiennes – dont Monte dei Paschi di Siena, une banque de taille relativement importante – doivent se recapitaliser, et l’essentiel des systèmes bancaires grecs et chypriotes aussi. Mais les mastodontes du secteur à l’échelle européenne (Deutsche et CommerzBank, BNP Paribas, SocGen, Unicredit, Banco Santander) ont été épargnés. Cependant, si l’on retient des critères plus stricts qui vont entrer en vigueur dans l’Union européenne dans quelques années, des banques allemandes relativement importantes (la banque hambourgeoise HSH Nordbank par exemple) sont concernées aussi.

 

 

Vers la fin du nationalisme bancaire

 

Quasiment aucun commentateur ou économiste ne s’attend à ce que les résultats de ces tests aient vraiment un impact sur l’économie. L’importance réelle de ces tests se situe ailleurs et est entièrement politique. L’industrie bancaire est une industrie cruciale dans le système capitaliste, et ce encore plus en Europe qu’aux États-Unis en raison de la prépondérance du crédit bancaire dans le financement des entreprises, par opposition aux marchés des titres. Et dans une série de pays européens, notamment en Allemagne et en Italie, des pans entiers de l’industrie bancaire sont étroitement liés au pouvoir politique local. Par ailleurs, son fonctionnement concret et son importance dans la conduite des politiques macroéconomiques fait qu’elle est vue par beaucoup de commentateurs – par exemple l’éditorialiste économique vedette du Financial Times, Martin Wolf – comme étant une quasi-agence étatique.

Tout cela explique pourquoi l’industrie bancaire a continué, jusqu’à la transition entamée avec les tests discutés ici, à faire l’objet d’un nationalisme bancaire par la plupart des États membres de l’Union européenne. La décentralisation des fonctions de contrôle prudentiel bancaire a permis à de nombreux Etats européens de préserver le contrôle national sur des pans entiers de l’industrie domestique et à protéger artificiellement leurs banques suite à la crise de la zone euro. C’est pour cette raison que les derniers tests de ce type en Europe (en 2011), effectués par les superviseurs bancaires nationaux, se sont révélés être des fiascos. Des banques comme l’espagnole Bankia ou la Franco-belge Dexia ont réussi ces tests, seulement pour couler quelques mois plus tard et renforcer la crise de confiance sur les marchés dont la zone euro a été l’objet en 2010–2013. C’est à l’occasion de la faillite de Bankia – qui a enclenché un accès spéculatif contre le système bancaire et la dette publique espagnols – que le président de la BCE Mario Draghi s’en est pris violemment à ce nationalisme bancaire et à la décentralisation du contrôle prudentiel bancaire en Europe. Les résultats des tests indiquent par ailleurs que la BCE ne s’est pas laissée influencer par ces résidus de nationalisme dans la conduite de l’exercice; ce n’est pas un hasard si les banques italiennes et, dans une moindre mesure, allemandes sont les principaux cas problématiques : ces deux pays ont fait preuve durant les années 2000 d’un nationalisme bancaire très marqué. L’une des raisons pour lesquelles la chancelière allemande avait été réticente à la mise en place de l’union bancaire en 2012 a précisément été la volonté de protéger des pans entiers du système bancaire allemand.

 

 

Le début d’une réorganisation profonde du système bancaire européen

 

Le chercheur Nicolas Véron, qui le premier en 2009 avait défendu la solution de l’union bancaire, considère que ces tests ne sont que le coup d’envoi d’une politique de restructuration profonde du système bancaire européen sous la houlette de la BCE. Ces tests seront suivis à partir du 4 novembre d’un ensemble de mesures visant à dénationaliser le fonctionnement des banques européennes. Notamment, la BCE imposera aux banques d’éliminer le biais national dans l’octroi de crédits et dans leur portefeuille de titres de dette publique. Cette dernière mesure peut s’avérer capitale : le nationalisme bancaire fait que les banques domestiques ont tendance à acquérir des volumes très importants de dette publique nationale, facilitant ainsi le financement des États qui les protègent. L’élimination de ce mécanisme affaiblira encore plus l’autonomie financière des États faibles de la zone euro et donc accélérera le processus de centralisation fiscale dans la zone euro. Enfin, la BCE va encourager les fusions et acquisitions bancaires transnationales en Europe.

La signification réelle de ces tests est que le processus de centralisation de la politique européenne, identifié par beaucoup comme l’une des solutions disponibles à la bourgeoisie européenne face à la crise de la zone euro, avance bel et bien. L’union bancaire paraît être un sujet très technique à beaucoup de mi­li­tant·e·s de gauche ; or, il reflète les questions politiques centrales du moment en Europe et à ce titre est révélateur des tendances politiques à l’œuvre dans la conjoncture actuelle. 

 

Christakis Georgiou