Les femmes au service de la rentabilité?

Intitulée The CS Gender 3000: Women in Senior Management, une récente étude menée par le Crédit Suisse montre, chiffres à l'appui, que la présence des femmes aux postes de direction dans les milieux d'affaires est bénéfique pour les résultats économiques des entreprises. Selon cette étude, les femmmes sembleraient donc accéder de plus en plus aux mêmes postes que les hommes et y feraient sensiblement mieux leur travail. Les arguments invoqués ainsi que les motivations qui se cachent derrière une telle étude ont de quoi susciter des interrogations.

L'étude menée sur près de 3000 entreprises à travers le monde nous apprend que la place des femmes top manager est en progression, même si elle reste très en-dessous de celle de leurs homologues masculins. En 2013 dans le monde, la présence féminine dans les conseils d’administration frisait en moyenne les 13 %, avec toutefois d’importantes disparités régionales. On y apprend surtout que de manière générale la rentabilité des entreprises augmente plus il y a de femmes à la tête de celles-ci. Mais les auteurs ne se contentent pas de nous présenter des statistiques, ils proposent des éléments de réponse et des pistes pour l’avenir. Et c’est là où ça se corse.

Du côté des causes, d’abord. S’ils ne s’attachent pas à déterminer avec précision les raisons qui expliqueraient ce phénomène, il est néanmoins fait mention d’un «plus grand conservatisme financier» ou encore d’un «appât du gain moindre» dont feraient preuve les femmes cadres. Surtout, une hypothèse générale est émise : une plus grande diversité au sein de la direction permettrait de prendre de meilleures décisions et ainsi d’enregistrer de meilleurs résultats. Les femmes seraient donc un atout du fait de leur « différence », argument récurrent qui ne fait que reproduire une vision du monde genrée dans laquelle hommes et femmes auraient, intrinsèquement, des attributs distincts.

Lorsque l’on cesse de discriminer les femmes à l’embauche et que l’on engage sur le seul critère de la compétence, on engage les « meilleurs » qu’ils soient hommes ou femmes, et cela profite positivement aux résultats de l’entreprise. Pourquoi cet argument pourtant simple n’est-il pas évoqué dans l’étude du Crédit Suisse ?

 

 

Un coup de pub déplacé

 

Les solutions proposées pour favoriser l’accès des femmes aux postes de direction soulèvent également quelques interrogations. On se réjouit du fait que l’intervention de l’état en la matière soit saluée, par exemple pour la mise en place d’un congé parental sur le modèle scandinave ou encore pour offrir des structures d’accueil aux enfants. On se réjouit un peu moins d’autres propositions, comme celle de rendre plus attractif le domaine scientifique dans l’éducation des filles en faisant des cours plus dynamiques, «adaptés au cerveau féminin». D’une manière générale, les mesures proposées sont faibles et ne remettent en aucun cas en cause le modèle de société sexiste dans lequel nous vivons, pourtant à l’origine de la discrimination qui frappe les femmes dans le monde du travail et ailleurs.

Quant aux intérêts qui motivent une telle recherche, il y a peu de doutes sur le fait qu’il s’agit avant tout d’un joli coup de pub de la part de la banque suisse érigée en défenseuse de l’égalité hommes-femmes. Il serait en effet bien illusoire de croire que le Crédit Suisse consacre des moyens financiers capables de produire une analyse détaillée sur plus de 50 pages, avec des données sur de nombreux pays et un large éventail de chiffres et statistiques, motivé par de soudaines préoccupations féministes. Vu sous cet angle, la technique marketing paraît alors fort grossière et il y a de quoi s’indigner d’une telle instrumentalisation. On peut d’ailleurs se poser la question : si l’étude révélait des résultats économiques similaires (ou même inférieurs) lors d’une plus grande présence de femmes aux postes de direction, quelles en seraient alors les conclusions ? Inciterait-on les entreprises à engager moins de femmes ? La présence de celles-ci à des postes de direction, comme ailleurs, n’a pas à être justifiée en termes de rentabilité économique, et le chemin encore long vers l’égalité ne doit pas se faire sur une différenciation des sexes.

 

Giulia Willig