Catalogne

Catalogne : Les aspirations nationales et leur potentiel démocratique

Entretien avec Andreu Coll Blackwell, membre de la direction de Revolta Global et d’Izquierda Anticapitalista, sur la consultation du 9 novembre en Catalogne. Au moment où nous bouclons le journal, nous apprenons que le gouvernement catalan a finalement renoncé à organiser le référendum malgré son bras de fer avec Madrid (SP)

 

Peux-tu nous expliquer quels secteurs sociaux se sont prononcés pour la consultation et l’indépendance et les contradictions existantes?

 

Il y a eu une montée du mouvement national et souverainiste en Catalogne après la tentative frustrée de réforme du Statut d’autonomie lancée par le gouvernement (alors en fonction) de la « gauche plurielle » – Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et Iniciativa per Catalunya Verds-Esquerra Unida i Alternative (ICV-EUiA) – présidé par Pasqual Maragall. Bien que le président « socialiste » Zapatero ait alors annoncé solennellement qu’il défendrait le texte approuvé par le Parlement de Catalogne lors de son transfert aux Cortes de Madrid, le PSOE et le Parti populaire (PP) ont supprimé des parties fondamentales de ce texte, suscitant un mouvement de masse en Catalogne, organisé autour de la Plataforma per el Dret a Decidir. A l’instigation du PP, ce Statut déjà amputé a été transmis au Tribunal constitutionnel qui, pour sa part, en a retranché encore plusieurs parties.

L’indignation suscitée par cet événement unie aux effets de la crise et aux politiques d’austérité, dans un territoire qui apporte beaucoup plus qu’il ne reçoit de l’Etat central par rapport à la population résidente, expliquent la montée sans précédent en quelques années de l’indépendantisme, organisé dans un vaste réseau d’associations, appelé Assemblée nationale catalane (ANC), imitant l’Assemblée de Catalogne à l’époque de la transition dans sa double fonction de cadre de mobilisation unitaire et d’organisation proto-­constituante. A cela s’ajoute l’érosion de la crédibilité des forces politiques impliquées dans la transition et de la monarchie juancarliste secouée par une série de scandales, annonçant la fin d’un cycle en Catalogne et dans l’ensemble de l’Etat espagnol.

 

 

Peut-on construire un projet indépendantiste sans construction sociale?

 

La situation politique en Catalogne ne s’explique pas sans comprendre que la dynamique de la consultation est la conséquence et non la cause d’un mouvement social très puissant et bien organisé par des classes moyennes exaspérées par les conséquences de la crise et indignées par l’offensive contre la langue catalane que mènent l’appareil d’Etat et le PP : remise en cause de l’immersion linguistique, abandon institutionnel aux Baléares, au Pays valencien et dans les secteurs de langue catalane en Aragon, etc. Ceci dit, le pacte fiscal tout d’abord et le mouvement souverainiste ensuite ont représenté un moyen de dévier l’attention des politiques d’austérité pratiquées par Convergència i Unió (CiU) en Catalogne et d’en culpabiliser exclusivement le gouvernement espagnol, alors qu’en réalité ces mêmes politiques font partie du programme historique néolibéral du nationalisme bourgeois catalan.

La principale contradiction du processus souverainiste est donc qu’il est dirigé par les classes moyennes, à la différence de l’Ecosse où l’indépendantisme était fortement hégémonisé par la classe ouvrière. En Catalogne, la grande bourgeoisie s’y oppose, mais la moyenne et petite bourgeoisie l’appuie majoritairement, tout comme la majorité de la paysannerie et certaines couches de professionnels et de travailleurs qualifiés. La classe ouvrière industrielle, particulièrement sa composante immigrée d’autres régions de l’Etat espagnol, est majoritairement neutre ou rejette le processus. Elle a par ailleurs d’autres préoccupations : le chômage, les coupes budgétaires, etc.

 

 

Que se passera-t-il si le gouvernement d’Artur Mas recule et ne convoque pas la consultation?

 

Je crois que l’unité entre les partis qui appuient la consultation se brisera et que Mas aura beaucoup de difficulté à ne pas convoquer à nouveau des élections anticipées. Je doute beaucoup que CiU s’avise de défier la légalité et de s’exposer à des représailles de l’Etat. Artur Mas est déjà un cadavre politique. Nous assistons à une dynamique similaire à celle qui précéda la proclamation de la IIe République [ndr: le 14 avril 1931], où les forces liées à la monarchie entrent dans une crise plus aiguë que dans le reste de l’Etat espagnol – le PSC, le PP et CiU ont connu une usure incroyable ces dernières années – et où les aspirations nationales sont un facteur déstabilisant de premier ordre, non seulement en Catalogne, mais dans tout l’Etat espagnol.

 

 

Quelle est la position de Revolta Global et de Izquierda Anticapitalista (IA) sur tout ce processus?

 

Notre politique en Catalogne – comme dans le reste de l’Etat espagnol – consiste à accompagner la radicalisation politique en cours et à lier les objectifs démocratiques (autodétermination, république, laïcité, droits des femmes) aux objectifs sociaux (rupture avec les politiques d’austérité, partage des richesses, incursion dans les secteurs clefs de l’économie) et environnementaux (transition énergétique, nouveau modèle de transport, de production et de consommation). Nous avons besoin d’audace et de politiques unitaires et radicales. Et enfin, mais ce n’est pas le moins important, accompagner avec patience le processus de radicalisation politique en cours en étant conscients de ses limites, mais aussi de ses énormes potentialités. Nous sommes sans doute en train de vivre les temps les plus intéressants depuis la transition post-franquiste. 

 

Propos recueillis pour notre rédaction par Juan Tortosa

Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk