Souveraineté alimentaire et protection des employés agricoles

Le 30 septembre dernier, le syndicat Uniterre, soutenu entre autres par solidaritéS, lançait officiellement à Berne une initiative populaire fédérale intitulée « Pour la souveraineté alimentaire : l’agriculture nous concerne toutes et tous ». Au-delà des objectifs visant à modifier l’approche de la politique agricole de notre pays en favorisant une agriculture de proximité, en interdisant l’utilisation des OGM, en luttant pour la fixation de prix justes ainsi que contre le pouvoir toujours plus grand des distributeurs et des multinationales, ce texte novateur comprend également des éléments favorisant des conditions de travail correctes pour les travailleurs agricoles.

Philippe Sauvin, de l’autre syndicat, syndicat ouvrier sur La Côte vaudoise et membre de La Via Campesina, spécialisé notamment dans la défense des ouvriers et ouvrières agricoles, nous explique pourquoi l’autre syndicat soutient cette initiative.

«Il s’agit de défendre le droit d’une population, d’une région ou d’un pays de définir sa politique agricole et alimentaire, sans le faire au détriment d’une autre région. Ce concept a été développé en 1996 par des organisations paysannes du Sud et du Nord réunies au sein du mouvement paysan international La Via Campesina».

 

 

Les employé·e·s agricoles, une main d’œuvre corvéable

 

Les faits sont bien connus : l’agriculture se développe de plus en plus en une agriculture industrielle, la globalisation met en concurrence

les bassins de production, les transports facilités et peu coûteux des denrées alimentaires induisent des baisses des prix des produits agricoles. L’accaparement de terres, le stockage et la vente de produits alimentaires par les multinationales et la grande distribution concentrent le capital dans les mains des actionnaires et font de la nourriture un juteux marché et une marchandise boursière, au détriment de l’agriculture familiale en voie de disparition et des sa­la­rié·e·s agricoles en nombre de plus en plus important.

Les flux migratoires internationaux induits par l’industrialisation de la production agricole sont énormes et libèrent une main-d’œuvre corvéable. Celle-ci doit se soumettre aux lois du marché et accepter des conditions de travail indignes. Les exemples européens sont légion : la production de fruits et légumes en Italie, en France, en Grèce, en Espagne dans les serres d’Andalousie génère régulièrement des scandales et des révoltes sans que des améliorations voient le jour. La liste n’est pas exhaustive et tous les pays européens ont leurs esclaves du travail de la terre venant d’ailleurs !

Pour une harmonisation des conditions de travail
au niveau fédéral

 

Qu’en est-il en Suisse ? L’initiative « Pour la souveraineté alimentaire » a le mérite, outre de poser les bonnes questions et d’exiger un changement radical du paradigme agricole, de demander à son article 6 : «(…) une attention particulière aux conditions de travail des salarié·e·s agricoles et veille à ce qu’elles soient harmonisées au niveau fédéral.» Ceci n’est pas anodin quand on sait que le travail agricole n’est pas soumis à la Loi fédérale sur le Travail (Ltr), et que les conditions cadres (Contrat Type de Travail CTT) sont réglées canton par canton avec très peu de contraintes. Des abîmes séparent les cantons suisses : entre Genève qui plafonne le temps de travail à 45 heures en moyenne et Glaris qui permet 66 heures en été, la majorité de cantons autorisent les 55 heures en moyenne à l’année ! Quant aux salaires, ils peuvent varier entre 3200 francs brut (une simple recommandation) ou moins : 13 fr./h en Valais et 3320 francs brut pour Vaud. Les conséquences pour l’économie ménagère des travailleuses et travailleurs agricoles sont évidentes, sans parler de leur santé.

Genève a été précurseur en baissant le temps de travail à 45 heures en moyenne dès 2013. Cette décision de la CRCT (Chambre des relations collectives de travail) avait été contestée par AGRI-Genève et 64 producteurs genevois auprès du Tribunal fédéral qui leur a donné tort le 10 juillet 2013 et qui a rejeté leur recours en considérant entre autres (page 14) : « (…) Par ailleurs, l’art. 5 al 1 CTT-Agri édicté le 18 décembre 2012 repose sur un motif objectif sérieux, à savoir la protection de la santé des travailleurs agricoles par la limitation de leur temps de travail hebdomadaire à 45 heures en moyenne annuelle et à 50 heures au maximum, horaires qui, comme déjà relevé, ne peuvent être qualifiés de déraisonnables (…) ». Les producteurs genevois estiment aujourd’hui à juste titre devoir produire avec des coûts salariaux nettement plus haut que leurs collègues du reste de la Suisse, ce qui n’est évidemment pas satisfaisant !

Ceci dit, notre revendication pour l’harmonisation des conditions de travail en Suisse sur une durée de 45 h et un salaire minimum de 3500 francs (les 4000 francs ayant été malheureusement balayés !) ne nous remplit pas d’orgueil : il s’agit d’une exigence très terre à terre et pas du tout révolutionnaire ! Mais cela signifierait déjà une énorme avancée au vu des différences des conditions de travail, surtout en Suisse allemande. La faible présence des syndicats dans ce secteur, qui ne font pas de la défense de sa­la­rié·e·s agricoles une priorité, y est pour quelque chose.

Signer et faire signer l’initiative populaire fédérale « Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous » est un acte citoyen pour une autre agriculture et devrait renforcer la lutte syndicale pour de meilleures conditions de travail pour les ouvrières et ouvriers agricoles ! 

 

Philippe Sauvin pour l’autre syndicat, 10 octobre 2014.

 

Plus d’informations :

agrisodu.ch