Matières premières

Matières premières : Une régulation chimérique

Début septembre, la Déclaration de Berne (DB) invitait à une conférence de presse pour annoncer une «proposition concrète et visionnaire» pour «réguler le marché des matières premières» en Suisse. Cette proposition consiste en la création d’une autorité de surveillance. Cette dernière est baptisée Rohma (contraction de Rohstoffmarktaufsichtsbehörde) et se calque sur le modèle de la… Finma, organisme censé veiller au bon fonctionnement des «marchés financiers».

Dans la brochure qui accompagne cette proposition, intitulée Plaidoyer pour une autorité de surveillance du secteur des matières premières, la DB rappelle que la Suisse représente la principale place au monde pour le négoce des matières premières (20 % du marché, 500 sociétés dont les géants Vitol, Glencore, Trafigura Mercuria et Gunvor). L’ONG donne plusieurs exemples de corruption, de blanchiment d’argent, de pillage de ressources et d’évasion fiscale «agressive», toujours aussi édifiants. Elle développe également la notion de « malédiction des ressources » – pour décrire la situation apparemment paradoxale des pays immensément riches en ressources naturelles mais dont la majorité de la population vit dans une grande pauvreté.

Toujours dans cette brochure, la DB rappelle que la législation indigène se révèle quasi inexistante et que les propositions du Conseil fédéral dans le domaine restent très insuffisantes. Ce dernier se soucie avant tout de «ne pas créer pour les entreprises suisses des conditions-cadres défavorables par rapport aux autres places économiques en jeu» (Pour plus de transparence dans le secteur des matières premières, communiqué du Conseil Fédéral, 25.6.2014). En fin de document, la DB liste une série de mesures pour, notamment, faire face aux «risques pour la réputation de certaines entreprises et de la Suisse elle-même».

 

Transparence

La Rohma s’appuierait sur une législation lui permettant de contrôler l’origine des ressources naturelles que les sociétés de matières premières commercialisent, ou encore de connaître en détail les partenaires avec lesquels elles font des affaires, afin d’empêcher le négoce de matières premières obtenues de façon illégale, ou produites en violations de droits humains ou de normes environnementales – en gros, l’instauration d’une grande transparence dans ce domaine. La Rohma veillerait également à «interdire des pratiques fiscales agressives». Elle pourrait infliger des sanctions suffisamment sévères pour être dissuasives (amendes, retraits de licences et peines de prison).

 

Expertise

La DB dénonce les excès de ce marché sans en questionner les fondements. Les propositions de l’ONG visent avant tout à désamorcer le «paquet de dynamite» (Dick Marty, membre du Conseil d’administration (fictif) de la Rohma, Le Temps, 2.9.2014) que constitue l’absence de régulation de la place de négoce suisse. Au-delà, elle voudrait rééquilibrer les termes de l’échange inégal et transformer les pays producteurs en économies d’exportation distributives et dirigés par des régimes moins corrompus. Or la poursuite de l’extraction intensive de matière première minérale et agricole n’est fondamentalement pas soutenable du point de vue écologique. Le maintien même des activités des géants du négoce, en Suisse ou ailleurs, est incompatible avec tout projet d’émancipation des populations des pays producteurs et restera un obstacle à la gestion collective de leurs ressources.

Le projet de la Rohma a, de l’aveu même de la DB, peu de chances de voir le jour. Du côté politique, la bourgeoisie suisse n’a jamais pris la moindre mesure qui ne lui ait pas été imposée de l’extérieur ou à la faveur d’un rapport de forces social. Et du côté économique, la branche du négoce des matières premières plaide évidemment pour l’auto-régulation, c’est-à-dire l’absence de régulation. Dans ces conditions, on peut d’ailleurs également s’interroger sur le sens de l’initiative de la DB.

 

Mobilisation

Si l’objectif était véritablement d’aboutir à la mise en place de ces réformes, timides mais nécessaires, pourquoi refuser de constituer un rapport de force social et politique, ne serait-ce que par le lancement d’une initiative populaire, par exemple ? Pourquoi rejeter les «gesticulations contreproductives» que constituaient les activités mises sur pied par le Collectif contre la spéculation sur les matières premières (CCSMP) à l’occasion des Commodities Global Summit de Lausanne ?

La transparence des flux financiers issus de l’exploitation des matières premières est l’une des revendications du CCSMP, et celui-ci débattra des propositions de la DB. Mais il faudra que le collectif poursuive sa stratégie propre, celle de l’information et de la mobilisation populaire autour d’une approche plus globale et systémique de la problématique avec des revendications originales et radicales.

 

Niels Wehrspann