Altermondialisation: état du mouvement

Altermondialisation: état du mouvement



Où va le «mouvement», un an après le 11 septembre? Christophe Aguiton part de l´échec du Sommet de Johannesburg pour brosser un tableau général. D´un côté, le climat de récession et l´effondrement des rêves de la «nouvelle économie» plongent les «global leaders» dans la morosité. De l´autre, les mouvements sociaux se renforcent et se radicalisent, y compris contre les options guerrières de l´impérialisme.



Par Christophe Aguiton*



Un an, c’est un laps de temps à peine suffisant pour risquer une interprétation sur l’impact d’un événement, même de l’importance du 11 septembre, sur le cours des choses. Mais, comme il faut avancer une hypothèse, l’idée qui sera développée ici est que le 11 septembre n’a pas marqué de tournant radical, mais qu’il a accéléré, ou rendu plus visibles et plus nets, des évolutions qui avaient été engagées dans la décennie précédente.



Deux conférences internationales majeures distantes de dix ans, le «sommet de la terre» de Rio de Jainero et le «sommet sur le développement durable» de Johannesburg, donnent un aperçu saisissant du chemin parcouru.



Il y a dix ans, l’optimisme régnait parmi les élites politiques et économiques. Les Etats-Unis avaient mis un coût d’arrêt, avec la guerre du Golfe, aux risques de déstabilisation rendus possible par la fin de la bipolarité et la chute de l’URSS, le capitalisme triomphait d’autant plus que le mouvement ouvrier avait subi de sévères reculs dans la décennie 80 et il semblait possible d’apporter des réponses aux problèmes non résolus du monde grâce au multilatéralisme et à l’action commune des Etats et d’une société civile représentée avant tout par les ONGs.


L’Echec de Johannesburg



Johannesburg a été l’anti-Rio. La déception est partout affichée, le refus américain de signer un texte aussi limité que le protocole de Kyoto a rendu impossible toute avancée sur les questions environnementales et les pays du Nord n’ont pas voulu dégager les moyens nécessaires au développement du Sud. Le drame palestinien et les risques d’intervention contre l’Irak étaient dans tous les esprits, quant à la «société civile», elle était surtout représentée par les multinationales des secteurs miniers, de l’énergie et de l’eau, les plus importantes ONGs dénonçant cette mascarade et défilant avec les mouvements sociaux sud-africains.



Trois évolutions majeures permettent de comprendre ce changement. Tout d’abord celle du capitalisme lui-même. Au moment même où la «mondialisation libérale» s’imposait, en donnant un pouvoir inégalé aux multinationales, une série de crises révélait la faiblesse du système: crise financière, démarrant en Asie en 1997, crise économique et éclatement de la bulle spéculative sur les actions, à partir de 2000, crise de gestion des entreprises, enfin, avec Enron ou Worldcom.



Celle de la politique américaine ensuite. Dès la deuxième année de la présidence de Bill Clinton on voyait s’envoler le rêve wilsonien d’un monde géré par des institutions internationales respectées et fortes, et la toute puissance américaine s’exprimait directement, par des interventions militaires, dans les Balkans en particulier, comme sur le plan politique et économique. L’unilatéralisme américain ruinait toutes les avancées vers une «gouvernance mondiale» qui aurait pu être le pendant et le contrepoids à la mondialisation économique, comme le défendaient certaines ONGs et quelques gouvernements, en particulier en Europe.


Emergence de mouvements sociaux



La relance d’un cycle de mobilisation à l’échelle mondiale à partir de Seattle, dont les précurseurs ont été les grévistes coréens et français ou les Zapatistes du Chiapas, est aussi à la base des transformations auxquelles nous assistons. Une remise en cause radicale de la mondialisation libérale s’exprime désormais, tant face aux sommets internationaux que contre les mesures libérales prises par les gouvernements ou imposées par les institutions internationales, les exemples les plus récents étant les grèves générales italiennes et espagnoles ou le mouvement de protestation en Argentine.



Le 11 septembre a évidemment accéléré ces processus et rendu plus aiguës certaines contradictions. L’instauration, par les Etats-Unis, d’une phase de guerres permanentes renvoie à des raisons plus profondes que la volonté de donner des gages à une population américaine choquée par les attentats. L’Empire américain a ceci de spécifique qu’il ne cherche pas à conquérir des territoires ou à instaurer une pax romana qui garantirait une stabilité de long terme. Ses objectifs sont plus limités: assurer à ses entreprises des débouchés et des marchés et garder une liberté de manouvre totale sur le plan politique et militaire, sans être entravé par le moindre accord ou la moindre institution. Mais devant les levées de bouclier qu’une politique de ce type ne peut que déclencher, rien ne vaut la mise en avant d’un risque mondial tel qu’il justifie la prééminence américaine et le suivisme d’alliés qui n’ont pas les moyens d’agir de leur propre chef.



L’Etat voyou



Ce système a fort bien fonctionné tant que l’URSS existait, la bipolarité et la guerre froide permettaient aux deux rivaux de dominer leurs camps sans partage ni réelle contestation. La disparition de l’URSS a marqué la fin de cette période et la réaffirmation, après de timides tentations multilatéralistes, de la toute puissance américaine, a coïncidé avec la recherche d’un nouvel ennemi qui la justifierait. Sous la présidence de Bill Clinton est ainsi apparue la notion de rogue states, des «états voyous» qui menaceraient la stabilité du monde. Les attentats du 11 septembre ont permis à l’administration américaine de recycler ces théories et on a vu George Bush inclure dans «l’axe du mal» trois pays qui faisaient partie de la liste des «états voyous» définie par l’administration Clinton. Mais la poursuite de cette politique se fait un cran au-dessus, le budget militaire connaît une forte augmentation et les interventions militaires se multiplient. L’activisme militaire américain et la pression politique de l’administration Bush produit des effets contradictoires. C’est d’abord l’alignement qui domine. Avant le 11 septembre, les institutions internationales cherchaient des appuis en dehors des Etats, et d’abord des Etats-Unis qui les mettaient souvent sur la sellette, et mettaient en avant l’émergence de la «société civile», multinationales comme ONGs. On pouvait même voir, comme à Durban pour la conférence de l’ONU sur le racisme, en août 2001, des sommets internationaux adopter des résolutions en l’absence des Etats-Unis qui avaient décidé de quitter la séance. Dans la dernière année, ces velléités d’indépendance se sont estompées et l’on a vu, à la conférence de l’ONU sur «les finances pour le développement» à Monterrey, au mois de mars, ou à Johannesburg, en août, ces institutions et la communauté internationale se plier aux desiderata américains. Mais ce suivisme pourrait être de courte durée, les réserves qui s’expriment dans le monde entier contre la guerre que prépare Washington contre l’Irak en est un indice.


Luttes des salarié-e-s et mondialisation



Mais, pour cela, un facteur décisif est la croissance et la maturité du mouvement de lutte contre la mondialisation libérale. Le 11 septembre a coïncidé avec une phase d’élargissement de ce mouvement. De Seattle à Gênes, ou Québec, en avril de la même année, pour le continent américain, le mouvement avait un impact politique très fort, mais il était numériquement limité et fonctionnait un peu sur le registre du «mouvement par délégation», pour reprendre une formule utilisée pour les grèves de 1995, en France, où les salariés du privé, ne pouvant le plus souvent pas faire grève, soutenaient les grévistes du public. Québec et Gênes ont marqué un saut quantitatif, et donc qualitatif: l’arrivée de centaines de milliers de jeunes, mais aussi de syndicalistes et de militants associatifs, changeait la nature même du mouvement. On a pu le vérifier dans les mois qui ont suivi, avec le succès des grèves générales italiennes et espagnoles qui s’opposaient à des mesures de flexibilisation du marché du travail partout mise en ouvre, au nom des exigences de la mondialisation.



Ce mouvement, si l’on met à part les Etats-Unis où la majorité des syndicats n’a pas encore rompu avec la politique militariste de leur gouvernement et ne participe pas à un mouvement anti-guerre qui prend de l’ampleur dans la jeunesse, a su lier le combat pour la paix au combat contre la mondialisation libérale. Les trois thématiques du Forum Européen de Florence seront la lutte contre le néolibéralisme, la lutte contre le racisme et la xénophobie et la lutte contre la guerre. Le «mouvement» a été de même capable d’intervenir sur la question palestinienne en participant massivement aux «missions civiles» sur le terrain, permettant d’établir des solidarités à un niveau qui n’avait jamais été atteint pendant un conflit armé.



On peut être certain que le durcissement de la politique américaine va avoir comme conséquence une croissance et une radicalisation du «mouvement». On en a eu un indice en Afrique du Sud, le 31 août, pendant la conférence de Johannesburg, où deux manifestations ont eu lieu: une de l’ANC et de la Cosatu, le grand syndicat sud-africain, soutenue par les ONG les plus institutionnelles, et une autre des sans-terres et des comités anti-privatisation de Soweto et des autres quartiers de la ville, soutenu par Via Campesina et d’autres mouvements sociaux internationaux. A la surprise générale, la manifestation la plus radicale a été trois fois plus nombreuse que la première et a su rallier de nombreuses ONG, les amis de la terre, GreenPeace, la Lega Ambiente ou le Sierra Club. Le défi, pour le mouvement, sera de se doter d’axes et de revendications communes et d’un calendrier de mobilisation efficace. C’est ce qui sera à l’ordre du jour du Forum social européen à Florence, en novembre et à Porto Alegre, en janvier 2003.



Extrait de «grain de Sable» numéro 361, daté du 6 septembre

Version française d’un article paru dans Il Manifesto

Contact pour cet article: aguiton@attac.org