Aux CFF, des cadences de plus en plus infernales

Annonçant le gel des embauches, de possibles suppressions de postes ainsi qu’une hausse des prix, le patron des CFF Andreas Meyer a rappelé que l’ancienne régie fédérale « n’a pas plus de responsabilité sociale qu’une entreprise privée » (Tages-Anzeiger, 13 juillet). De fait, les employés des CFF sont déjà soumis à une pression élevée; une réalité mise à nu par un reportage radio de la RTS de fin avril qui a recueilli les témoignages de mécaniciens de locomotive.

Depuis que le personnel des CFF a été séparé de l’administration fédérale en 1999, lorsque la régie fut transformée en société anonyme, la pression à la productivité s’est fortement accrue. Tous les trois ans, le Conseil fédéral publie une directive intitulée « Objectifs stratégiques assignés à CFF SA.» Parmi ces objectifs, on trouve l’exigence d’une hausse de la productivité de l’ordre de 3 % par année. Cette hausse ne se répercute pas sur les salaires : en 2013 par exemple, la direction de l’entreprise a refusé toute augmentation générale, et celles qui étaient prévues pour les jeunes ont été gelées. C’est que les gains de productivité sont destinés à accroître «la participation des CFF au versement des paiements compensatoires à l’infrastructure», selon les objectifs 2011–2014 fixés par le Conseil fédéral. En clair, il s’agit de financer, par des économies réalisées au moyen de réductions de postes et par l’intensification du travail, une partie croissante de l’entretien et de l’extension du réseau.

Pour les mécaniciens, cette politique conduit à une forte détérioration des conditions de travail. Comme le constate Contact, le journal du Syndicat du personnel des transports (SEV) : «La vie de famille ou la vie privée du personnel ayant des horaires irréguliers ou en équipe font aujourd’hui les frais de planifications tardives, d’heures supplémentaires liées au manque d’employés, d’une hausse du nombre de nuits chez Cargo [filiale des CFFchargée du transport de marchandises], de week-ends libres rares, de mauvais roulements» (12 juin 2014.) Après une semaine débutée à 5 h le lundi, qui se poursuit à 9 h le mardi, puis à 3 h le mercredi, etc., pour se finir tard dans la soirée du samedi, les mécaniciens sont de plus en plus fatigués durant le service. Comme le personnel est réduit au strict minimum, les jours de repos sont souvent interrompus par des demandes de remplacement d’un·e collègue malade. «Chaque téléphone à la maison me fait de plus en plus sursauter» témoigne un pilote de locomotive dans Contact.

 

Sécurité en jeu

La fatigue du personnel pose des problèmes de sécurité, même si cette question reste taboue dans l’entreprise. Comme l’affirme, sous anonymat, un mécanicien à l’enquêtrice de la RTS : « Les plus grosses peurs, c’est quand on est très fatigué, vous vous réveillez en conduisant et ne savez plus où vous êtes.» Comme le pilote doit toujours appuyer sur une pédale, le relâchement de la pression en cas d’endormissement déclenche une alarme (système dit de l’homme mort), mais même une courte période d’inattention peut poser problème : «Cela m’est arrivé de rater un signal. Avec les horaires qu’on a, la cadence, c’est un vrai souci. Mais c’est tabou. Si à la visite médicale, vous osez dire que vous ne conduisez pas toujours en sécurité, les conséquences seraient imprévisibles.» C’est que la direction, obnubilée par les impératifs de rentabilité, considère que «tant que les trains roulent, il n’y a pas de manque de personnel», regrette un autre témoin. Les dirigeants des CFF exploitent aussi les largesses de la Loi sur la durée du travail : celle-ci autorise, après un week-end de congé, que les mécaniciens commencent à rouler le lundi matin si tôt que cela ne leur permet pas de profiter du dimanche soir. De même, avant un jour libre, des engagements très tard dans la nuit précédente sont permis.

Cette situation risque d’empirer. Les grandes lignes de la Convention collective 2015 des CFF viennent d’être entérinées par les « partenaires sociaux », au terme de négociations à froid, sans mobilisation des salariés concernés, selon les habitudes profondément intériorisées de la « paix absolue du travail » stipulée à l’article 6 de la CCT. Cette nouvelle CCT prévoit une augmentation de la flexibilité du temps de travail dans l’entreprise, ainsi qu’un affaiblissement de la protection contre les licenciements. Il s’agit de la cinquième CCT négociée depuis 1999, avec à chaque fois des concessions de la partie syndicale.

 

Hadrien Buclin

 


De nouveaux pas en avant vers la libéralisation

 

En juillet dernier, l’Office fédéral des transports a publié une liste d’objectifs pour 2030, synonymes de nouveaux pas en avant vers la libéralisation du rail. S’agissant des entreprises de transport régionales, «la part des pouvoirs publics à la propriété des entreprises de transport ferroviaire est sensiblement réduite.» L’Etat resterait responsable des infrastructures – c’est-à-dire de la prise en charge d’une partie des coûts – tandis que les compagnies privées se concentreraient sur l’offre, la partie rentable. Après une hausse des tarifs de 5,2 % il y a trois ans et de 2,3 % en 2014, la mise à contribution des usagers est appelée à augmenter encore : «les utilisateurs et les bénéficiaires contribuent davantage au financement de l’offre des transports publics.» Contrairement à ce que demande l’Initiative des Alpes acceptée en votation il y a 20 ans contre l’avis des autorités, aucun encouragement direct au transfert modal de la route au rail n’est prévu, puisque «le fret ferroviaire transalpin et sur tout le territoire sont (sic) autofinancés.» HB