État espagnol

État espagnol : «La dignité est la dernière des barricades»

Non au paiement de la dette, non aux coupes budgétaires?; oui au travail et au logement dignes, oui aux droits sociaux garantis. Ces cinq points résument le manifeste et les revendications des Marches pour la dignité, une mobilisation coordonnée depuis différents points du pays pour former, le 22 mars 2014, une grande manifestation à Madrid, rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes. 

A l’origine de cette manifestation, le Syndicat Andalou de Travailleurs et d’autres secteurs de la gauche syndicale et sociale ont réussi à s’unir pour «le droit à une vie digne pour tous». Cette proposition a été reprise aussi tôt par les assemblées du 15M [en référence à la manifestation du 15 mai 2011 marquant le début du mouvement des Indignados], les associations de quartier, les syndicats minoritaires, les communautés chrétiennes de base, les assemblées de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca [PAH, plate-forme lancée en 2009 contre les expulsions et en faveur d’un logement digne] et bien d’autres collectifs.

C’est une mobilisation sans précédent dans l’histoire récente du pays. Près de deux millions de personnes selon les organisateurs – 50 000 d’après les chiffres officiels – ont convergé le 22 mars sur Madrid pour une «Marche pour la Dignité». Objectif : reprendre le flambeau du formidable élan contestataire du mouvement des « indignés », et tenter de contrer la politique d’austérité menée par le gouvernement conservateur. 

 

Crise sociale, économique et politique 

Cette mobilisation sociale se donne dans un cadre de crise aigüe. Le Parti Populaire (PP), la droite dure au pouvoir, mène une contreréforme sans précédent dans tous les domaines avec l’aide de la puissante église catholique. Plus de 27 % de la population est au chômage (55 % pour les jeunes), la pauvreté touche ¼ de la population. Outre la privatisation rampante des services publics dont la gestion de l’eau, l’éducation et la santé, le gouvernement souhaite un durcissement de la loi sur l’avortement. Côté répression, les nouvelles lois de « Sécurité citoyenne» (sic) imposent des amendes exorbitantes aux manifestations non autorisées. Au nom de la protection des créanciers, le gouvernement conservateur a également ignoré les revendications des plateformes citoyennes de défense des personnes expulsées de leurs logements.

Un projet de réforme de la loi du travail prévoit d’abaisser les indemnités de licenciement. En parallèle, la Justice voit son champ d’actions limité par une restriction des conditions dans lesquelles un juge espagnol peut enquêter sur des délits commis hors du territoire national. Des scandales de corruption ont récemment marqué la vie politique, comme l’affaire « Barcenas », du nom de l’ancien trésorier du PP, soupçonné de fraude fiscale, corruption et blanchiment d’argent. Si l’on ajoute l’augmentation de taxes, comme la TVA ou les cotisations sociales, exigée par l’Union européenne pour juguler le déficit, on comprend que les espagnols se sentent de plus en plus roulés dans la farine.

Le manifeste des Marches résume de manière limpide la situation politique dans ce pays : «La décomposition du régime issu de la Constitution de 1978 [Constitution assurant la transition, avec des éléments de continuité, de la dictature franquiste à ladite démocratie?; NDT] devient évidente à cause des éléments qui ont présidé à sa naissance – laquelle se fit contre le peuple. Ce régime est rongé par la corruption et n’a aucune légitimité. Les droits et les libertés nous ont été volés pour favoriser les intérêts d’une minorité et pour assurer ses profits. Ces intérêts nous ont conduits à cet état d’exception sociale fondé sur le démantèlement de l’éducation et du système de santé publique, sur la réduction drastique des retraites de nos aînés, sur l’expropriation de nos logements et la fermeture des entreprises accompagnée du licenciement de milliers de travailleuses et travailleurs.?»

 

Répression et manipulation

Presque aucun média n’a relevé l’immense succès de cette manifestation?; pire quand ils l’ont fait c’est avec des accusations « de néo­nazis », « de terroristes », « de marginaux », etc. Cette campagne, outre à discréditer les collectifs qui ont participé à l’organisation des Marches, vise à opérer un tour de vis en modifiant à nouveau les lois relatives aux manifestations. Le gouvernement et le PP cherchent à ce que le 22M soit associé à la violence.

Les Marches de la dignité furent un énorme succès au vu de leur portée sociale ainsi qu’en raison de la participation de centaines de milliers de personnes. Elles mirent en évidence plusieurs éléments : 1) Qu’il y a un espace politique à la gauche des partis traditionnels. Les bases d’Izquierda Unida ont participé massivement dans le mouvement, mais c’est un discours clairement anticapitaliste qu’a dominé. 2) Que les classes laborieuses et la population ne supportent plus les injustices, les coupes budgétaires et les inégalités sociales. 3) Que ces marches furent organisées par le syndicalisme alternatif, les mouvements sociaux et populaires les plus éloignés de la concertation sociale des deux appareils dirigeants syndicaux [des CCOO et de UGT]. 4) Que dans le 22M ont convergé tous les secteurs qui se sont mobilisé contre la politique du gouvernement depuis des années : les mineurs du Nord, les enseignants, les pompiers, le travailleurs/eusse de la santé, du chemin de fer, les pêcheurs et les ouvriers agricoles, les immigrés, le mouvement féministe et beaucoup de jeunes. 5) Que malgré la répression, l’élan soulevé par le 15M reste vivant et la mobilisation du 22 mars a impulsé à nouveau les assemblées des quartiers, dans les usines, etc. et une grève générale se prépare pour avril. 

Notre devoir ici est de montrer notre solidarité avec ce peuple qui ne se soumet pas au joug du capitalisme.

 

Juan Tortosa