Le franc fort et le mouvement syndical

Le franc fort et le mouvement syndical



Le 18 octobre dernier, l’Union
syndicale suisse (USS) tenait une nouvelle conférence de presse
sur le franc en réclamant d’une part, une
intervention de la BNS pour qu’elle fixe un nouveau cours
plancher de 1 franc 40 pour un euro et d’autre part, un
renforcement des mesures d’accompagnement.



Après la première vague de licenciements massifs et le
recours au chômage partiel pour faire payer aux
salarié·e·s les frais de la restructuration durant
la phase initiale de la crise financière, le patronat suisse
hausse d’un ton ses attaques afin de garantir ses marges
bénéficiaires.

    L’Union syndicale suisse a ainsi
recensé plus d’une centaine d’entreprises qui ont
soit augmenté sans compensation le temps de travail de leurs
employé·e·s, soit opéré des
diminutions de salaire, notamment en payant les
travailleurs·euses frontaliers en euros. L’offensive
patronale se fait très clairement au mépris des lois en
vigueur (le fait de payer les salarié·e·s en euros
revient non seulement à une inégalité de
traitement mais également à faire reporter les risques
d’entreprise sur les salarié·e·s). Elle se
fait également au mépris des conventions collectives de
travail, notamment dans l’industrie des machines où
l’article de crise existant suppose la consultation et
l’accord des travailleurs·euses et de leur syndicat.

Le franc fort une bonne affaire ?

Le patronat est en train de chercher jusqu’où il peut
aller, à quelles extrémités il peut acculer
syndicats et salarié·e·s pour faire des
économies et garantir ses bénéfices. Fait
significatif : parmi les patrons ayant décidé de
payer leurs salarié·e·s frontaliers en euro figure
M. Marc Jacquet, président de l’organisation patronale
bâloise. Autre fait d’importance : la plupart des
entreprises qui ont annoncé des baisses de salaires ou une
augmentation du temps de travail ne sont pas dans les chiffres rouges
et ont réalisé de très importants
bénéfices ces dernières années. C’est
le cas de Lonza qui a notamment profité du francs fort pour
racheter cet été l’entreprise Arch Chemicals, tout
en augmentant d’une heure et demi le travail hebdomadaire de son
personnel en Valais (cf. solidaritéS, nº 192). Lonza
va encore plus loin à présent : pour garantir une
rentabilité du site de Viège à la hauteur de ses
attentes, le groupe réclame à l’Etat valaisan des
rabais fiscaux ainsi qu’une diminution du prix de
l’électricité. Enfin, la défiscalisation des
entreprises, peu étudié par le mouvement syndical,
sous-tend toute la politique d’austérité
budgétaire et de coupe dans les services publics, au plus grand
dam des salarié·e·s.

    Une des premières entreprises à avoir
augmenté le temps de travail sans la pleine compensation du
salaire n’est autre que la plus grande entreprise de Suisse en
termes d’employé·e·s, à savoir la
Migros. Malgré un bénéfice cumulé de pas
moins de 5 milliards de francs au cours des dix dernières
années, le géant orange, en situation de quasi duopole
avec COOP dans le secteur du commerce de détail, a
déjà fait passer en 2008 une augmentation de 2 heures du
temps de travail hebdomadaire de près de 10 % de ses
employé·e·s (dans les restaurants Migros, à
la logistique et aux transports,…). Aujourd’hui, Migros
demande à ces mêmes employé·e·s,
passés à 43 heures par semaine, de bien vouloir
réduire leur temps de travail pour faire face à la baisse
du chiffre d’affaire, avec un retour à 41 heures et une
diminution équivalente de salaire à la clé…

Une seule réponse : des mobilisations unitaires

Tous ces exemples montrent que la réponse du mouvement syndical
aux attaques patronales doit se situer sur le terrain social, et non
sur le seul terrain de la politique économique de la Banque
nationale suisse visant à améliorer les conditions cadre
des entreprises. Il s’agit avant tout d’une lutte pour la
répartition des richesses créées par les
salarié·e·s.

    En ce sens, la mobilisation dans le secteur du gros
œuvre devrait servir de référence et de
modèle. La solution peut et doit passer par la mobilisation des
salarié·e·s comme l’a montré la
manifestation du 24 septembre dernier. Alors que les
salarié·e·s dans l’horlogerie sont en proie
à une flexibilisation horaire toujours plus importante et que le
recours aux entreprises intérimaires explose, on est certes en
droit de s’interroger sur la signature toute récente
d’une paix absolue du travail dans l’horlogerie, dans le
cadre du renouvellement de la convention collective de ce secteur (dont
les patrons pourront fêter les 75 ans en 2012). Mais, il y a lieu
avant tout de plancher sur la nécessité de recréer
des moments de mobilisations unitaires.

    Les travailleurs·euses de ce pays sont
confrontés à des attaques sans précédent
sur leurs salaires directs et indirects.  L’absence de
journées nationales de mobilisation de l’ensemble du monde
syndical est des plus inquiétants et fait figure
d’exception bienvenue pour le patronat dans le paysage
européen. Il est urgent que le mouvement syndical se dote
d’un agenda commun réclamant une protection des salaires
et des conditions de travail. La dernière grande mobilisation
salariale remonte maintenant à plus de deux ans…
C’est en priorité sur ce terrain que le mouvement syndical
doit investir son énergie.

Jean-Marc Etienne