Italie: Abyssinie, Albanie… Afghanistan, le changement dans la continuité?

Italie: Abyssinie, Albanie… Afghanistan, le changement dans la continuité?

En septembre 2001 déjà, Berlusconi proclamait qu’en
raison de la «supériorité des valeurs
occidentales», celles-ci allaient «conquérir de
nouveaux peuples», précisant que cela
«s’était déjà produit avec le monde
communiste et une partie du monde islamique, mais que, malheureusement,
une partie de ce dernier est restée mille quatre cents ans en
arrière».1

Au chapitre des travaux pratiques, en matière de
«conquête de nouveaux peuples»,
l’ex-président du Conseil italien – grand ami de
Georges Bush – avait envoyé 1300 soldats italiens en
Afghanistan dans le cadre de la machine de guerre de l’OTAN,
ainsi qu’un contingent de 2600 soldats en Irak, pour appuyer
l’agression et l’occupation de ce pays par les forces
impérialistes sous la houlette des USA.
Berlusconi a été éjecté, mais cet
été, le nouveau gouvernement italien de «centre
gauche», dirigé par Romano Prodi, a entrepris et
réussi à faire voter au parlement la poursuite de
l’intervention militaire italienne en Afghanistan. Il
s’agit là d’une violation, non seulement de la
constitution italienne elle-même, qui dans son article 11,
«répudie la guerre comme instrument d’agression
contre la liberté des autres peuples», mais aussi et
surtout d’une rupture avec les positions anti-guerre de la gauche
italienne, qui se sont manifestées au travers d’immenses
mobilisations du temps du gouvernement réactionnaire
précédent.

Contre la guerre «sans si, ni mais»

Un appel pour pousser les élu-e-s de gauche à ne pas
céder sur cette question essentielle mettait les choses au point
comme suit: «Au
cours des années nous avons manifesté contre toutes les
guerres, dont celle d’Afghanistan, “sans si et sans
mais”. L’Italie ne peut pas et ne doit pas participer
à cette mission et les forces pacifistes, en premier lieu le
Parti de refondation communiste (PRC), ne doivent pas
l’approuver. Nous en appelons aux parlementaires afin
qu’ils votent avec cohérence avec leur propres convictions
et à l’Unione, pour qu’elle prenne acte de cette
position claire à travers un changement de cap allant dans le
sens d’une «stratégie de sortie» de
l’Afghanistan dans le respect de l’art. 11 de la
Constitution inscrit dans le programme du gouvernement.
»

Tariq Ali, dans une lettre ouverte, adressée le 10 juillet
à Fausto Bertinotti, ancien secrétaire de Rifondazione
Communista (PRC) depuis 1994 et nouveau président de la Chambre
des députés, lui écrit sa surprise
d’apprendre que Rifondazione allait accepter de reconduire la
présence militaire italienne en Afghanistan. «Il n’y
a tout simplement aucune excuse pouvant justifier la présence de
l’OTAN en Afghanistan, sauf celle de faire plaisir à
Washington. Ces dernières semaines, les massacres de civils
afghans se sont multipliés par dix. Les titres qui parlent de
“500 talibans tués” sont de la désinformation
pure. Comme nous l’avions prédit, les Afghans ne
supportent pas l’occupation étrangère et ont
commencé à résister…»
écrit-il. Il conclut sa lettre en rappelant que «les
invasions de l’Albanie et de l’Abyssinie par Mussolini
étaient fondées sur la même logique: apporter la
civilisation européenne à ces pays féodaux
arriérés. C’était inacceptable alors,
ça ne devrait pas l’être non plus
aujourd’hui.»

Le front du refus…

Les député-e-s et sénateurs-trices de la gauche
italienne ont – évidemment – subi une énorme
pression du gouvernement pour voter contre leurs convictions. Huit
sénateurs-trices de gauche avaient, courageusement,
annoncé leur volonté de refuser ce vote à Prodi et
publié une déclaration dans ce sens. Mais la
majorité du gouvernement au sénat n’étant
que de deux voix, celui-ci a décidé de faire de la
question un «vote de confiance».
Face à l’alternative entre faire tomber le gouvernement
nouvellement en place ou voter ces «crédits de
guerre», les sénateurs dissidents se sont
«ralliés», avec néanmoins une
déclaration commune, s’engageant à ne pas voter
pour la reconduite de cette opération militaire, dans six mois,
quand le parlement devra à nouveau se prononcer sur la question.

Chantage gouvernemental

Nous publions ici quelques extraits de la déclaration de Franco
Turigliatto du courant Sinistra Critica au sein du PRC, élu
sénateur dans le Piémont, lors des élections
italiennes d’avril dernier:

«Le gouvernement a fait de
cette mesure une question de confiance, Je la voterai pour une unique
raison, un sentiment de loyauté et d’engagement en faveur
de cet électorat qui a éjecté les partis de droite
et permis à ce gouvernement de se former, envers ces
travailleurs-euses aussi qui, ces dernières semaines,
m’ont dit qu’ils apprécient notre combat, mais qui
– en même temps – m’ont demandé de ne
pas faire tomber le gouvernement, pour leur permettre de continuer
à évaluer son action dans les mois à venir.
Néanmoins, cette décision n’enlève rien
à mon opposition fondamentale, irréductible et
définitive face à une mesure qui, même si elle a
pris en compte l’exigence massive d’un retrait
d’Iraq, envisage de poursuivre la mission militaire en
Afghanistan. […]


La décision du
gouvernement de faire de cette question un vote de confiance demande
que nous sacrfiions notre opposition fondamentale pour ne pas mettre en
danger le gouvernement. C’est un choix douloureux, qui
pèse lourdement sur nos consciences et nos convictions
politiques. Nous avons le sentiment d’avoir été
soumis à un chantage que nous n’accepterons plus à
l’avenir. […]


Différentes initiatives
ont été prises en Italie, avec notre contribution et
d’autres le seront à l’avenir. Nous participerons
à toutes celles-ci afin d’arriver à
l’échéance du prochain vote sur des missions
militaires avec les forces les plus larges possibles contre
l’extension d’opérations militaires inacceptables.
»

Cette crise, le tournant et les contradictions au sein du PRC, la
problème de la participation gouvernementale et plus
généralement des stratégies et alliances pour
«battre la droite», sont des questions dont nous devons
évidemment débattre, ici également… Nous y
reviendrons.

Pierre VANEK

1 Le Monde, 28 septembre 2001.