Poésie intime et minimaliste, Ani DiFranco se livre en douceur

Poésie intime et minimaliste, Ani DiFranco se livre en douceur

Ani DiFranco vient de sortir, le 20 janvier, son quinzième album. «Educated Guess», marque une rupture qui s’inscrit à la fois dans un retour aux sources de l’artiste et dans une continuité de son évolution récente. Inclassable et intrigant, «Educated Guess» est de ces disques difficiles à aborder mais qui finissent par nous enchanter, pour peu que l’on prenne le temps de se laisser pénétrer par l’œuvre.

A ses débuts, dans les années 90, Ani DiFranco s’inscrivait clairement dans un registre folk traditionnel, se posant en digne héritière des Woody Guthrie, Cisco Huston et autres Pete Seeger. Sa musique s’est ensuite musclée et l’album «Dilate», en 1996, a fait l’effet d’une véritable bombe. Laissant peu à peu de côté le registre énergique de son folk-punk, la rebelle de Buffalo en a surpris plus d’un avec «Revelling and Reckoning» (2001), témoignage de son évolution vers un jazz-folk teinté de grooves funk.

A la sortie d’«Evolve», l’année passée, Ani DiFranco présentait son quatorzième opus comme l’aboutissement de cette évolution et l’aperçu de ce qui était à venir.

Retour aux sources et continuité

Alors qu’«Evolve» arrivait dans les bacs, Ani DiFranco se séparait de sa formation jazz-funk pour entamer une tournée solo. Un retour aux sources espéraient certains puristes qui rêvaient de la revoir sur scène, une guitare sèche à la main, réinvestir la tradition folk… Mais c’était bien mal connaître la puissance créatrice et l’inépuisable curiosité de l’artiste.

«Educated Guess», est le fruit de ce nouveau virage pris il y a une année. S’il y a effectivement un retour indéniable à la tradition folk – on trouve notamment trois poèmes plus récités que chantés – ce quinzième album a autant à voir avec ceux de ses débuts qu’avec ses derniers disques jazzy. Un opus étonnant, voir même déroutant, mais qui finit par être profondément séduisant et émouvant.

Un album 100% DiFranco

L’année 2003 a non seulement été celle de son retour à un chemin en solitaire, se séparant de son groupe, mais aussi celle de sa rupture d’avec son mari. «Educated Guess» est probablement son album le plus acéré, le plus honnête et le plus intime. Elle y exprime les douleurs, les luttes, mais aussi la puissance de la solitude, sorte de parcours initiatique à la rencontre de son moi profond, de l’essence de son être. Logique donc que l’artiste ait choisi de faire cet album en solitaire. Non seulement elle chante et y joue tous les instruments mais, pour la première fois, elle s’est également occupée de l’enregistrement et du mixage.

Le vieux 8 pistes utilisé donne une chaleur et une sonorité rétro aux morceaux qui, comme la pluie ou le bruit d’un train qui passe qu’on entend ça et là en arrière fond, accentuent le côté intimiste de l’album. Il en ressort la douce sensation d’être invité dans le salon de l’artiste pour l’écouter nous livrer un témoignage intime sur ses états d’âme, ses doutes et sa mélancolie, comme sur ses espoirs et sa sérénité.

Renaissance

On l’aura compris, les compositions présentes sur «Educated Guess» ont, pour la plupart, trait à l’amour, aux ruptures et à cette solitude qui peut à la fois nous plonger dans des états d’esprits auto-destructeurs, comme nous insuffler cette douce et profonde force, de celles qui naissent au plus intime de nous-même lorsque, enfin, on se retrouve.

Et la plume d’Ani DiFranco touche juste. Elle exprime avec une impressionnante sensibilité cette sensation enivrante qui s’empare de celle ou de celui qui, dans l’adversité, renaît à lui-même et redécouvre, en ouvrant la fenêtre un matin d’automne, le monde qui s’offre à lui. Un monde à la fois beau et révoltant. Un monde à changer.

Et Ani DiFranco de rappeler l’œuvre de toutes celles et de tous ceux qui, au cours des siècles, ont eu la sagesse et le courage de s’insurger, de toutes celles et de tous ceux qui ont réellement fait l’histoire. C’est cette histoire-là qu’elle aime, c’est à cette histoire-là qu’elle entend prendre part, avec toujours cette rage contre le système capitaliste, fait de gaspillages, d’abondance et de pénurie, d’oppression et d’inégalités séculières. Et s’il est une lutte qui lui tient toujours particulièrement à cœur, c’est celle du «coolest F-word ever», celle du féminisme.

Ani DiFranco témoigne de ce que cette année de solitude lui a permis de redécouvrir sur elle-même. Force est d’humblement reconnaître qu’elle est toujours aussi touchante de sincérité et d’humanité.

Erik GROBET