Notre camarade Aimée Stitelmann bientôt réhabilitée?

Notre camarade Aimée Stitelmann bientôt réhabilitée?

Aimée Stitelmann est née en 1925. Lors de la deuxième guerre mondiale, alors qu’elle avait seize ans elle a aidé une quinzaine d’enfants juifs à passer la frontière entre la France et la Suisse, au péril de sa vie. Elle a été emprisonnée 18 jours pour cela, et jugée après la guerre. Le 13 janvier, elle a présenté publiquement à Berne sa demande de réhabilitation. En l’an 2000, Daniel Künzi a consacré un film de 10 minutes à son affaire: «Aimées S. emprisonnée en 1945»*. Entretien. (réd)

Comment as-tu connu Aimée?

Je connaissais Aimée depuis une vingtaine d’années, je l’ai connue avec son mari Henry lors des manifestations contre l’Apartheid au cours des années 80. Nous nous sommes rapprochés lors des luttes contre les attaques au droit d’asile, et la création du mouvement SolidaritéS.

Pourquoi avoir produit un film sur ce qui allait devenir «l’affaire Aimée Stitelmann»?

C’est avec la vague de critiques venues particulièrement des USA concernant la politique de la Suisse officielle, de l’armée des banques, du Conseil fédéral, pendant la Deuxième guerre mondiale, que j’ai pensé qu’il était nécessaire d’évoquer la résistance intérieure à la politique des autorités helvétiques! Et j’avais à faire là à un cas édifiant! Ce film s’inscrit dans la continuité de mes films1 consacrés à la résistance, de la gauche en particulier, à la montée du fascisme!

Comment à réagi Aimée?

J’ai dû résoudre deux difficultés. La première, c’est que Aimée ne souhaitait pas faire un film sur son passé, elle me disait que ce qu’elle avait fait, au péril de sa vie, je souligne, c’était si peu, et c’était si vieux que personne ne s’y intéresserait. Je suis parvenu à la convaincre en lui promettant que le film ne se limiterait pas à des «souvenirs d’anciens combattants», mais serait tourné vers l’avenir. La deuxième difficulté a été de trouver des institutions pour financer ce projet. En vain. C’est le seul film pour lequel je ne suis pas parvenu à trouver un seul centime. Pourtant je suis parvenu à dénicher de l’argent pour des films tournés en Sibérie, au Brésil, dans la République des Komis, etc. Mais pour filmer Aimée racontant comment elle traversait la frontière, dans les bois de Jussy, avec des enfants: pas un rond!

Comment analyses-tu ces refus?

Attendez, le catalogue des difficultés n’est pas terminé! Lors du tournage, nous nous sommes fait expulser par le douanier de Vernier où elle s’était fait arrêter (pour tourner un film comme ça, il faut une autorisation); et ensuite silence refus total de la tsr (télévision suisse du régime) de le diffuser! Pourtant ce film a été sélectionné dans plusieurs Festivals internationaux, seule la tv allemande ARD en a diffusé des extraits. Il y a deux ans, avec de confortables moyens, un film de 120 minutes était réalisé, avec l’aide du Canton de Genève et de la tsr: Mémoire de frontières. Pour des «cas» comme Aimée, ou l’écrivain autrichien Wander, refoulé à Genève et qui finira à Auschwitz, il n’y avait pas place dans ce film! De même que dans la série de films Archimob dont il est beaucoup question en ce moment. Il est heureux qu’une frontière ait des trous…et malheureux qu’un documentaire historique en comporte tant!

Comment expliques-tu ces difficultés?

Elles n’ont rien de très particulier, il en va de même pour tous mes films consacrés à des «repris de justice»: les Brigadistes ou les soldats suisses ralliés à de Gaulle. Nous vivons dans un pays qui n’a pas été dénazifié, et cet héritage pèse encore sur notre présent. En Italie, Mussolini – tant admiré par le général Guisan – a fini les pieds en l’air, Hitler a explosé dans son bunker, Laval a été fusillé en France… et Pétain l’a échappé belle, etc. En Suisse tous les admirateurs de Hitler, Salazar, Franco, Mussolini, Pétain, etc sont restés au pouvoir. Et ce n’est pas l’historien Chevallaz qui a contesté leur «œuvre» à ma connaissance.

Comment la demande de réhabilitation s’est-elle faite?

Le Parlement a refusé la proposition des députés Rechsteiner et de Dardel, en vue d’une réhabilitation de toutes celles et de tous ceux qui se sont engagés contre le fascisme… mais il a accepté que les personnes ayant aidé des réfugiés puissent être réhabilitées! Notez en passant qu’il s’agit d’une réhabilitation «pour beurre», puisque les personnes injustement emprisonnées n’auront droit à aucune indemnité… contrairement au cas de n’importe quel innocent injustement emprisonné qui peut faire valoir une demande de dommage et intérêts, surtout s’il s’agit d’un homme d’affaires!

Aimée était réticente, mais nous sommes parvenus à la convaincre avec l’avocat Jean-Michel Dolivo, qu’il ne s’agissait pas seulement de faire un pied de nez aux autorités, mais de tracer une perspective pour la lutte du droit d’asile aujourd’hui. Car les militants qui accordent le droit d’asile à des réfugiés continuent à être poursuivis et amendés en 2004.

Le New York Times a consacré une large place à cette affaire!?

Il n’y a pas que le New York Times qui s’est déplacé à la conférence de presse que nous avons donnée à Berne, une bonne vingtaine de journalistes étaient présents, et avant même cet événement, la principale tv allemande consacrait un reportage à cette affaire. En voyageant un peu partout en Europe pour présenter mes films, je me rends compte que les spectateurs sont indignés par cette Suisse réactionnaire qui continue à considérer comme des délinquants les Brigadistes ou les anciens combattants de la Deuxième guerre mondiale, alors que partout ailleurs ils sont considérés comme des héros!

Entretien réalisé par la rédaction

* Le film Aimées S. emprisonnée en 1945 est en vente à SolidaritéS ainsi qu’ à la librairie du Boulevard au prix de 15.-frs.

  1. Un Suisse à part, Georges-Henri Pointet, La Suisse et la guerre d’Espagne, Des Suisses à l’aventure