Internement à vie, une logique absurde
Internement à vie, une logique absurde
Linitiative «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» est lexpression de lélan de sympathie populaire envers les familles et les proches des victimes de crimes particulièrement horribles et odieux. Si nous pouvons évidement comprendre ce mouvement, les réponses proposées par cette initiative sécuritaire ne sont pas satisfaisantes à plus dun titre. Nous présentons brièvement ici quatre types darguments principaux pour refuser ce texte.
la nécessité incontestable de protéger la population contre les crimes sexuels visés par linitiative rate son but: dune part, la définition de délinquants «très dangereux» est juridiquement restrictive par rapport à la législation actuelle; dautre part, la décision dun internement à vie au moment du procès entre dans une logique trop absolue qui risque de laisser plus dun juge et dun jury perplexes, favorisant plutôt un recul face à laspect dirréversibilité dune telle décision pénale.
La récente révision partielle du code pénal permet déjà linternement à vie pour les criminels dangereux, avec une procédure dévaluation plus adaptée aux connaissances actuelles en criminologie. La législation actuelle est plus précise et moins lacunaire que linitiative. Elle est compatible avec la législation internationale, alors que le texte de linitiative risque dêtre rejeté par la Cour européenne des droits de lhomme à Strasbourg.
Les professionnels en criminologie, les responsables de lexécution des peines, et différents experts ayant une connaissance reconnue dans ce domaine sont généralement davis moins tranchés. Lexpérience nous apprend que si les progrès thérapeutiques sont souvent minimes, voire décevants pour une très petite minorité de ces délinquants, plusieurs travaux et rapports récents plaident pour une approche plus nuancée. Avec une évaluation périodique, il est possible aujourdhui de mieux préciser lévolution des délinquants et les risques quils présentent.
Le Dr. Th. Harding, professeur de médecine légale à Genève, ancien expert de lOMS sur les questions de dangerosité, rejette cette initiative sans nuance, (Le Courrier, 13.01.04). Le Dr F. Urbaniok, directeur du service psychiatrique rattaché à loffice de lexécution des peines à Zurich, plaide pour une professionnalisation accrue dans la prise encharge des délinquants dangereux, laquelle amène avec une pratique rigoureuse une diminution des risques de récidives. Il estime les moyens proposés par linitiative «totalement inadéquats» (Le Temps, 12.01.04).
Enfin, les valeurs héritées du siècle des Lumières, en particulier lhumanisme qui a inspiré la première formulation des droits de lHomme, doivent alimenter cette réflexion.
Lespoir laissé à chaque être humain dévoluer dans sa propre humanité est une lueur que nous nous devons dentretenir.
La logique dune condamnation sans appel, sans espoir, pousse au contraire lêtre humain dans la voie régressive de comportements désespérés, et lexpérience de telles condamnations montre au contraire quelles enferment et renforcent les délinquants dans leur violence et leur cruauté.Toutes ces raisons motivent notre rejet de cette initiative.
Anita CUÉNOD
Gilles GODINAT